Laisse béton
(Renaud Séchan)
 
J'étais tranquille, j'étais peinard,
accoudé au flipper,
le type est entré dans le bar,
a commandé un jambon-beurre,
puis il s'est approché de moi,
pis y m'a regardé comme ça :

« T'as des bottes,
mon pote,
elles me bottent !
J'parie qu'c'est des Santiag' ;
viens faire un tour dans l'terrain vague,
j'vais t'apprendre un jeu rigolo
à grands coups de chaîne de vélo,
j'te fais tes bottes à la baston ! »
Moi j'y ai dit : « Laisse béton ! »

Y m'a filé une beigne,
j'y ai filé une torgnole,
m'a filé une châtaigne,
j'ui ai filé mes grolles.

J'étais tranquille, j'étais peinard,
accoudé au comptoir,
le type est entré dans le bar,
a commandé un café noir,
puis il m'a tapé sur l'épaule
et m'a regardé d'un air drôle :

« T'as un blouson,
mecton,
l'est pas bidon !
Moi j'me les gèle sur mon scooter,
avec ça j's'rai un vrai rocker,
viens faire un tour dans la ruelle,
j'te montrerai mon Opinel
et j'te chourav'rai ton blouson ! »
Moi j'y ai dit : « Laisse béton ! »

Y m'a filé une beigne,
j'y ai filé un marron,
m'a filé une châtaigne,
J'ai filé mon blouson.

J'étais tranquille, j'étais peinard,
je réparais ma mobylette,
le type a surgi su' l'boul'vard
sur sa grosse moto super chouette,
s'est arrêté l'long du trottoir
et m'a regardé d'un air bête :

« T'y as l'même blue-jean
que James Dean
t'y arrêtes ta frime !
J'parie qu'c'est un vrai Lévi-Strauss,
il est carrément pas craignos,
viens faire un tour derrière l'église,
histoire que je te dévalise
à grands coups de ceinturon ! »
Moi j'y ai dit : « Laisse béton ! »

Y m'a filé une beigne,
j'y ai filé une mandale,
m'a filé une châtaigne,
j'ai filé mon futal.

La morale de c'te pauvre histoire,
c'est qu'quand t'es tranquille et peinard,
faut pas trop traîner dans les bars
à moins d'être fringué en costard.

Quand à la fin d'une chanson,
tu t'retrouves à poil sans tes bottes,
faut avoir d'l'imagination
pour trouver une chute rigolote.



© 1975