Portraits 24 heures, le par ch.
Mis en ligne dans le kiosque le 24 novembre 2010.

Renaud : symbole d'une génération pourrie gâtée

Dans un entretien pour le magazine « Serge », Renaud Séchan avoue être toujours dépressif et avoir renoué avec l’alcool. Chronique d’une génération gâchée…

left En mai 1968, Renaud Séchan, le chanteur anar et modèle d'une certaine jeunesse, avait tout juste 16 ans. Connu pour ses chansons humoristiques décapantes, Renaud est entré au panthéon des chanteurs français en dénonçant absolument tout. Révolté, il le fut jusqu'au bout des tripes. De sa première chanson reconnue, « camarade bourgeois », jusqu'à son « Hexagone », où il expliquait que la France est peuplée de 60 millions de prétendants au trône de roi des cons, en passant par « miss Maggie », qui critiquait violemment Margaret Thatcher, l'artiste a toujours craché sa haine de la société.

Oui mais voilà, à force de tout détester on en arrive à se détester soi même. C'est ce mal être particulièrement répandu chez les soixante-huitards que Renaud caractérise si bien. Pétri de lutte des classes et de mépris des « moutons » (vous, moi, ceux qui travaillent, qui ont une famille, les « beaufs » comme ils disent), Renaud s'est reclus dans le cynisme en constatant l'absurdité de ses positions. Comme tous ses camarades de Mai, il se trouve bien quelques chimères afin de soulager sa conscience (comme la libération de Bettencourt ou la défense de l'écologie), mais il sait bien, au fond, qu'il ne pourra changer le monde avec son nihilisme rampant.

Il est donc logiquement devenu « bobo » comme il l'admet honnêtement dans l'un de ses derniers album. Il s'est mis à faire de la variété française pseudo engagée avec le tube « Manhattan Kaboul » en duo avec Axel Red (même si la chanson est un succès commercial, Renaud y perd son âme. Les plus grands fans l'admettent avec tristesse : le CD du renouveau est trop mièvre et manque cruellement de caractère, le vrai Renaud est mort). Il se présente aux bras d'une mannequin de 25 ans de moins que lui et joue de ses relations pour qu'elle puisse signer un disque. Il va même sur le plateau des NRJ Music Awards recevoir un prix d'honneur en s'excusant au passage pour avoir critiqué la station radio des années auparavant (il l'avait attaquée très violemment et à plusieurs reprises dans les années 90), il fréquente les hôtels de luxe de Monte-Carlo, déverse sa vie privée sur tous les plateaux télé (là même où il n'aurait jamais daigné mettre les pieds quelques années plus tôt), il s'installe dans une maison cossue en banlieue parisienne : bref, la caricature du bourgeois...

Tout le monde est triste de cette mort symbolique mais on se dit qu'il est vieux, qu'il fait de la peine et que s'est surement mieux pour lui de se trouver une jeunette, d'arrêter de boire et de ne plus rêver au grand soir. D'ailleurs, quel grand soir proposer quand on ne croit plus en rien ?

Mais chassez le naturel il revient au galop. Il est clair qu'après ce que fut Renaud, il doit avoir bien du mal à cohabiter avec ce qu'il est devenu, et ses tristes propos parus dans « Serge » n'ont rien de surprenant. Extraits choisis :

C'est épuisant de passer ses jours et ses nuits à repenser à son enfance et à son adolescence. Chaque année qui passe, la nostalgie se rapproche. Je pense de plus en plus aux années 80.

Au sujet de l'alcool, il explique avoir «repiqué au truc tout doucement».

Je m'étiole, je meurs à petit feu. Je suis loin de Paris, de mes potes, de mes petits bistrots.

Je ne sors plus de disques car je suis en panne d'inspiration. Je n'ai pas écrit de chansons originales depuis quatre ans. C'est un peu frustrant. Et, sur scène, étant donné ma voix qui se détériore, je n'ai plus tellement envie de chanter.

Trajectoire classique, presque caricaturale d'un soixante-huitard modèle : exaltation, déception, autodestruction/hédonisme, cynisme, embourgeoisement (cette étape doit être la plus dure à vivre pour lui qui a combattu le bourgeois et le patron toute sa jeunesse), égocentrisme/nombrilisme, dépression.

Cette génération issue des trente glorieuse avait tout, en enfants gâtés qu'ils étaient (et qu'il sont restés) ils ont voulu tout détruire. Il ne leur reste plus que leurs égos et leur confort à satisfaire. Certains furent sincères et le sont vraisemblablement toujours. C'est le cas de Renaud et c'est pourquoi il souffre.

En s'opposant systématiquement à toute forme d'ordre morale, cette génération s'est engluée dans son nihilisme, son cynisme. Cette volonté de se différencier (déjà l'égocentrisme..), de rejeter tout héritage du passé, les a conduit a ne plus percevoir (ni même vouloir percevoir) toute notion du bien, du beau (à l'image de nos artiste contemporains si appréciés des bobos et qui ont remplacé l'art par le « concept »), toute notion de valeurs, pourtant nécessaires aux hommes. Et Renaud est avant tout un homme.

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