Portraits Charts in France, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 4 janvier 2012.

Thierry Séchan écrit une nouvelle lettre à Renaud : « Je suis sûr que tu vas rebondir »

Le frère de Renaud récidive. Après avoir publié une missive en forme d'appel à l'aide, Thierry Séchan publie un contre-point, une autre lettre un peu plus optimiste. Alors que Pure Charts avait publié en exclusivité la lettre en forme d'appel à l'aide de Thierry Séchan, nous vous proposons aujourd'hui de découvrir en avant-première la suite de cette missive.

left Le frère du chanteur Renaud signe, en effet, à la fois une préface (qu'on vous avait fait découvrir en exclusivité le 10 novembre dernier) et une postface d'un ouvrage à paraître jeudi 12 janvier aux Éditions Fetjaine. Et c'est cette postface que nous vous proposons de lire en intégralité aujourd'hui. Le livre intitulé Renaud, putain de vie et signé Claude Fléouter est une sorte de biographie du chanteur de Mistral Gagnant. Le texte est entouré de deux lettres du frère du chanteur. Une préface relativement noire et une postface un peu plus optimiste.

La publication de la préface de Thierry Séchan avait créé un véritable émoi tant dans la presse que chez les fans de l'artiste. Il lui demandait ainsi solennellement Laisse pas béton ! lui reprochant Tes vieux démons ont repris le dessus. En effet, quelques jours après la publication du texte, on voyait le chanteur à la Une du journal "Le Parisien", attablé à la Closerie des Lilas, son QG...

Aujourd'hui, je te vois envahi par le « soleil » noir de la mélancolie j'ai du mal à le supporter, tu sais. Mais je suis sûr que tu vas rebondir, il ne peut en être autrement. Tu as encore de belles chansons à écrire, mon frère. Non, vraiment, l'auteur du Mistral gagnant ne sera jamais un « ménestrel perdant »., écrit aujourd'hui Thierry Séchan dans sa postface.

Le texte sobrement intitulé Lettre à mon frère (suite et fin) débute par les mêmes mots que la préface : Mon bien cher frère. Elle est légèrement plus courte que la première : quatre pages dans le livre définitif contre cinq pour la préface. De la même manière, Thierry Séchan s'appuie sur ses souvenirs pour tenter de réveiller le chanteur : Puisque j'ai préfacé cet ouvrage, je puis aussi bien le postfacer, ne serait-ce que pour ajouter une note rose à ce tableau un peu noir de ton existence actuelle. Bien sûr que c'est beau, le noir, le noir du drapeau de toutes les révoltes, plus beau que le jaune si souvent évoqué ici, sous forme d'anisette. Mais le rose, le rose bonbon, le rose des lèvres des petites filles, le rose de « la vie en rose », n'est-ce pas plus joli ? D'autant que ta vie ne fut pas toujours aussi morose. Les doutes, les angoisses, puis la dépression, tout cela ne survint qu'au milieu des années quatre-vingt. Avant tout fut beau !, écrit-il ainsi au tout début de sa postface.

Thierry Séchan rappelle ensuite aux chanteurs ses belles années : Quant à tes vingt premières années de carrière, tu ne vas pas me dire que tu les regrettes ! Chaque album, chaque tournée, te faisaient gravir une marche de plus dans le c½ur du public, t'inscrivaient un peu plus dans le patrimoine de la chanson française. Un parcours exemplaire !, rappelle-t-il. En fait, moi, je pense que tu es un poète tout court en chanson et dans la vie., avance Thierry Séchan.

L'enfance, l'adolescence, les vacances en Grèce, l'enregistrement de Morgane de toi à Los Angeles, Thierry Séchan revient sur plusieurs moments marquants de la vie du chanteur et lui rappelle ses débuts : Puis le succès t'arriva, par hasard, comme une divine surprise. Il suffit qu'un animateur de radio s'entichât de Laisse béton pour que le titre devienne, en quelques semaines, numéro 1 au hit-parade. Dans les années qui suivirent, tu enchaînas succès sur succès, remplissant les salles, passant de Bobino à l'Olympia, puis du Zénith à Bercy.. Un moyen de lui ouvrir les yeux sur ce que la musique a pu lui apporter ?

Il le remercie aussi indirectement pour sa bonté : Généreux, toi, tu le fus plus que personne. Grâce à toi, le partageur, nos quatre frères et s½urs ont eu un bel appartement. Moi, non. Comme le Prince de Ligne : "j'ai dépensé quatre-vingt dix pour cent de ma fortune en alcool et en femmes, le reste, je l'ai gaspillé." Notre cher frère David ne m'a-t-il pas surnommé "Gaspille le magnifique" ?, rappelle le frère du chanteur comme s'il voulait le prévenir de ne pas faire de même... Thierry Séchan termine sa lettre par une touche d'optimisme : Je suis sûr que tu vas rebondir, il ne peut en être autrement.

Pure Charts vous propose de découvrir - en exclusivité - ci-dessous l'intégralité de la Lettre à mon frère (suite et fin), signée Thierry Séchan.


Lettre à mon frère (suite et fin)

Mon bien cher frère,

Puisque j'ai préfacé cet ouvrage, je puis aussi bien le postfacer, ne serait-ce que pour ajouter une note rose à ce tableau un peu noir de ton existence actuelle. Bien sûr que c'est beau, le noir, le noir du drapeau de toutes les révoltes, plus beau que le jaune si souvent évoqué ici, sous forme d'anisette. Mais le rose, le rose bonbon, le rose des lèvres des petites filles, le rose de « la vie en rose », n'est-ce pas plus joli ? D'autant que ta vie ne fut pas toujours aussi morose. Les doutes, les angoisses, puis la dépression, tout cela ne survint qu'au milieu des années quatre-vingt. Avant tout fut beau ! Souviens-toi : comme elle fut douce, notre enfance ! Des parents merveilleux, et six frères et s½urs qui s'adoraient. Cela n'a pas changé, du reste. Et notre adolescence ! Généreuse, voyageuse, rebelle. Quant à tes vingt premières années de carrière, tu ne vas pas me dire que tu les regrettes ! Chaque album, chaque tournée, te faisaient gravir une marche de plus dans le c½ur du public, t'inscrivaient un peu plus dans le patrimoine de la chanson française. Un parcours exemplaire !

Ah, notre enfance ! L'école, les copains, nos vacances nomades, dans la Drôme ou à Vialas, au c½ur de notre chère Lozère. On a dit de toi que tu étais un « poète de la rue ». Le grand Frédéric Dard a pu écrire que tu faisais « le boulot de Verlaine avec les mots de bistrot ». En fait, moi, je pense que tu es un poète tout court en chanson et dans la vie. Dans les années cinquante (tu devais avoir quatre ou cinq ans), un jour que nous étions en voiture sur une petite route de Lozère, avisant une montagne déchiquetée, tu demandas : « Pourquoi la montagne elle est cassée ? » Silence embarrassé de nos parents. Comment expliquer à un gamin de quatre ou cinq ans le phénomène de l'érosion ? J'imagine que mon père botta en touche.

Quelques années plus tard, toujours en été, nous avions loué une grande maison à Vialas, ce qui nous avait permis d'inviter nos chers « Pépé » et « Mémé ». Ah, l'admiration que nous avions tous pour Pépé, le fameux Oscar de ta chanson ! Grand et fort, le regard bleu des hommes du Nord, la prestance d'un Gabin ou d'un Maurice Chevalier. Le premier jour des vacances, nous assistâmes, muets d'étonnement, au petit déjeuner du grand homme. Assis à une table, sur la terrasse, il avait devant lui un bol de café, des tartines, du beurre, du saucisson à l'ail, du pâté de campagne et... une bouteille de vin rouge ! Ça c'était un homme !

Malgré la différence sociale (la plupart des vacanciers étaient professeurs, médecins, commerçants...), notre grand-père était apprécié par tout le monde. Sa gentillesse et son sourire charmeur compensaient largement son manque d'éducation.

Une enfance heureuse, dans une France profonde qui n'était pas encore la jungle qu'elle est devenue.

Et notre adolescence ! Notre fière adolescence ! T'en souviens-tu ? Tu avais vingt ans, j'en avais vingt-trois, et nous vivions notre époque de « dandy » cheveux longs et blonds, chemises blanches 1900, redingotes et cuissardes. Le soir, nous déambulions entre le Sélect (pour l'apéritif), La Coupole (pour le dîner), puis le Rosebud, jusque tard dans la nuit, parlant à tout le monde, un verre dans une main, une cigarette dans l'autre.

Ah, les nuits de Montparnasse !

Et nos voyages ! C'est moi qui te fis découvrir la Grèce, où tu me retrouvas en 1975.

Patmos la blanche...Patmos de saint Jean l'Apocalypse.

L'Apocalypse, à une époque où nous vivions comme des princes pour l'équivalent de dix euros par jour. Nous nous nourrissions de salades grecques et de petites brochettes, et puis nous buvions ouzo sur ouzo, une sorte de Pastis grec. Tu étais venu avec ton premier 45 tours (Hexagone), et le propriétaire du bar du village avait accepté que tu places ton disque dans son Juke-Box. On peut dire que les Grecs de Petros entendirent tes chansons (si je ne me trompe, il y avait aussi, en face B, Société, tu m'auras pas) avant les Français...

Cette année-là, Dominique était venue avec toi. La belle, la radieuse, la lumineuse Dominique - Domino pour les intimes. Quelques années après, tu lui consacrais une bien jolie chanson, Ma gonzesse, un petit chef-d'½uvre d'humour. La plus belle fille de Petros, assurément.

L'année suivante (à moins que ce fût la précédente...), Martin Lamotte nous avait rejoint. Je crois que je n'ai jamais autant ri de ma vie, d'autant que tu lui donnais la réplique à la perfection. Puis le succès t'arriva, par hasard, comme une divine surprise. Il suffit qu'un animateur de radio s'entichât de Laisse béton pour que le titre devienne, en quelques semaines, numéro 1 au hit-parade.

Dans les années qui suivirent, tu enchaînas succès sur succès, remplissant les salles, passant de Bobino à l'Olympia, puis du Zénith à Bercy.

Et Los Angeles, tu t'en souviens ? Pas le premier séjour (enregistrement de Morgan de toi), le second. Je t'accompagnais, en studio comme à la ville. C'est là que tu enregistras Mistral gagnant, ton chef-d'½uvre absolu, une des plus belles chansons de tous les temps.

Par un bel après-midi, nous roulions dans ta Porsche de location lorsque tu me signales qu'une voiture de police nous suivait en faisant des appels de phare. « Nous n'avons commis aucune infraction, te dis-je naïvement. Continue ! » Fort heureusement, tu fus plus prudent. Tu t'arrêtas sur le bas-côté. Aussitôt, quatre flics encerclèrent la Porsche. On te fit comprendre que tu devais garder tes mains sur le volant. Puis l'on nous extrayait gentiment de la voiture.

Toi et moi, à quelques mètres l'un de l'autre, nous fûmes interrogés par les policiers. « Nous sommes français, expliquai-je, mon frère est un chanteur célèbre qui enregistre un nouvel album à Los Angeles ». « Ce monsieur n'est pas français », m'assura l'un des crétins galonnés. « Comment ça, il n'est pas français ? M'insurgeai-je. Et son accent alors ? » Avec la certitude d'un grand linguiste, le tueur appointé me répondit : « C'est un faux accent français. » Les bras m'en tombèrent. Soudain je réalisai que nos flics parisiens étaient des intellectuels à coté de ses cops californiens. Le cirque dura près d'une heure. Enfin, sans un mot d'excuse, on nous rendit nos passeports en nous expliquant rapidement que tu ressemblais à un dealer recherché dans tout L.A. Toi, dealer ! Dealer de poésie, de révolte et d'humour, peut-être, mais de drogue, no chance. Il suffit d'écouter La Blanche ou P'tite conne pour s'en convaincre.

Tu rentras à Paris avec ton plus bel album sous le bras, tu rentras direction La Closerie des lilas. Étienne Roda-Gil était là, notre ami poète, le plus grand parolier français, alcoolique et anarchiste, généreux et hâbleur, un seigneur. Généreux, toi, tu le fus plus que personne. Grâce à toi, le partageur, nos quatre frères et s½urs ont eu un bel appartement. Moi, non. Comme le Prince de Ligne : j'ai dépensé quatre-vingt dix pour cent de ma fortune en alcool et en femmes, le reste, je l'ai gaspillé. » Notre cher frère David ne m'a-t-il pas surnommé « Gaspille le magnifique » ?

Aujourd'hui, je te vois envahi par le « soleil » noir de la mélancolie j'ai du mal à le supporter, tu sais. Mais je suis sûr que tu vas rebondir, il ne peut en être autrement. Tu as encore de belles chansons à écrire, mon frère. Non, vraiment, l'auteur du Mistral gagnant ne sera jamais un « ménestrel perdant ».

T.O.S

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