Portraits E-terview.org, le par .
Mis en ligne dans le kiosque le 29 avril 2010.

Jean-Louis Murat, élu de Lilith

Il est question de Renaud aux questions-réponses n° 32, 33 et 34.

Murat. Un nom. Une marque de fabrique. Artisanal. Depuis 30 ans qu'il traîne ses guêtres dans les arrières salles de la chanson française on le croyait enfin apaisé. Pensez donc : un an et six mois avant de voir sortir "Lilith " (alors qu'habituellement ses productions sont espacées d'à peine 10 mois) c'était que le Jean-Louis acceptait enfin de revoir ses prétentions à la baisse et qu'il rentrait finalement dans le moule de la production musicale. Mais non ! Ce serait mal connaître le bonhomme. Pour une nouvelle fois déjouer les plans de carrière, il sort au choix, un double album CD ou un triple vinyle de 23 chansons.

1. Je sais que tu n'aimes pas trop les promos alors je vais te poser une première question qui n'a rien à voir avec ton album : Que fait on quand on est passionné de sport et qu'on décide de ne plus lire l'Equipe ? Je pense que tu peux continuer à croire en Dieu sans lire " La Croix ".

2. Dans ces conditions, Peut on continuer d'aimer Jean-Louis Murat sans lire les Inrockuptibles ? J'espère bien ! ils ne m'aiment plus les inrocks, ils en arrivent à me détester même, à raconter que je suis le pire artiste français. C'est quand même dingue. Pendant 10 ans j'étais au top, j'étais le meilleur, maintenant ils me traitent comme une vraie merde (rire)

3. Je pense que c'est ta célébrité qui les dérange, le fait que tu sois catalogué artiste qui vend ! Tu rigoles ! Nan ! ! je suis vaguement connu de quque' copains mais de là à dire que je vends.

4. En tout cas ton dernier album est arrivé. Il est bon non ?

5. Très bon mais pourquoi un double CD et surtout un triple Vinyle, nostalgique d'une certaine époque ? Au départ, égoïstement, je voulais enregistrer un double vinyle. Chez moi j'ai une collection de vinyle, je n'écoute que ça, j'aimais l'idée de mettre un disque de moi au milieu. Le problème c'est qu'un double vinyle ne tient pas sur un seul CD.

6. Et ne sortir " Lilith " qu'en 33 tours c'était quelque chose d'inenvisageable ? Ça dépend ce que tu veux, si tu ne le sors qu'en vinyle tu en vends quatre ! Le marché n'est pas assez important.

7. Les chansons qui se trouvent sur le disque sont elles disposées de façon à donner un climat à chaque CD ? Oui. Le premier est plutôt pour mec et le second pour les nanas. Dans le deuxième c'est des sentiments plus féminins, c'est moi en femelle en quelque sorte.

8. Comment fais tu pour être aussi prolifique, 23 chansons c'est énorme, surtout qu'elles sont toutes de très bonne facture ? Je travaille. Je travaille beaucoup.... Non, faut que j'arrête de dire ça parce que les gens pensent que je suis un marteau de travail (rire). Simplement, je suis comme un maçon, je bosse tous les jours, j'écris beaucoup de chansons... à force de faire de la maçonnerie j'aurais peut être la chance d'être un bon maçon.

8. Tu aimes bien cette image d'artisan ? (Catégorique) Ha ouais ! Et de plus en plus. J'ai l'impression d'appartenir à la chanson industrielle. Cette merde qui nous ridiculise, nous marginalise. On va finir par disparaître. La chanson industrielle nous met une volée tous les jours. Un artiste c'est souvent un bon artisan. J'aime bien l'époque du moyen age où les artistes étaient pris pour des artisans musiciens. Il n'y avait pas ces saloperies de télé à la con.

9. La télé, tu n'y passes plus d'ailleurs. Ben non il n'y a plus d'émission ! je pensais faire Star-Academy ou toutes ces conneries mais il n'y a plus d'émission de cette qualité pour moi (rire)

10. Par contre, il y avait une émission à enregistrer à chaque fois que tu passais dedans, c'était Nulle Part Ailleurs avec la doublette Vechi-Devoise chez qui tu étais ignoble ? Les gens de télé cela n'ont pas de moral. Tu leur rentres dedans, tu leur dis " qu'est ce que t'es con ", résultat à la fin de l'émission ils te disent " super on a fait une bonne émission ". Ils ne sont pas comme nous. Tu leur dis en direct " t'es vraiment un con toi ", le mec à la fin il te dit " le passage où tu me dis que je suis un con c'était vraiment excellent " (rire). Ils résonnent uniquement pour le spectacle audio-visuel. L'honneur il le foute dans leur froc. Tu montres ton cul ils te répondent " hum le passage était très très bon ". Tu ne t'en sors pas quoi !

11. Pour arriver finalement par ne plus parler de ton travail ? Jamais ! je n'en parle plus jamais. Personne ne me pose de question sur mes disques à la télé. Souvent, je ne sais même pas pourquoi je suis là (rire) Ils me parlent de n'importe quoi. Ils disent " voilà, nous recevons Madame Dugenoux qui est productrice de Haricot à Châteauroux. Alors oui Jean-Louis Murat vous aimez les Haricots ? " tu dis " bhen ouais j'aime bien les haricots " et l'autre te répond " Ha Jean-Louis Murat aime bien les haricots ! on l'applaudit ! " (rire)

12. Bon quittons les affres de la télévision, revenons à nos moutons et à cet album, est ce que c'est la maladie d'amour qui te motive à chanter ? La maladie de l'amour oui. L'amour est un peu malade. C'est un sentiment malade. C'est une préoccupation de voir qu'il a perdu son côté tonique. On a une drôle de façon de vivre nos histoires d'amour. Rien qu'à regarder Trintignant-Cantat on s'en rend compte. Mais j'aime l'amour. J'ai toujours aimé et j'ai toujours été aimé. Je ne pense pas avoir passé un seul jour sans. Je suis un peu dépendant de ça. Une bonne drogue Love is a drug !

13. Fred Jimenez se voit affubler de l'étiquette de sparring-partner sur cet album ? Tu conçois la musique comme un sport de combat ? Fred, c'est mon grand copain. Et faire un album je considère ça comme une performance. Il faut être au top physiquement et psychologiquement. Comme dans une réunion d'athlétisme. La durée d'enregistrement va assez vite, il faut être très affûté. J'aime bien la notion sportive qu'il y a dans mon job, notion qui se perd de plus en plus d'ailleurs. Exprimer mon côté compétiteur dans la discipline. Faire des chalenges, des coups de force. Je trouve que " Lilith " pour moi est une forme de performance que je m'étais donné comme un marathonien se donne un temps.

14. Cette rapidité d'enregistrement, tu considères cela comme nécessaire à ce que tu veux voir émerger de ton esprit ? Oui ! Sinon on se perd. Si je vais vite c'est que je travaille beaucoup avant tout seul. J'évite de faire plus de deux prises maxi sur une chanson.

15. Pourquoi ? Parce que souvent dans la première prise il y a un charme, sentiment qui se dissipe au fur et à mesure des enregistrements.

14. Prendre le temps pour enregistrer un album c'est quelque chose de concevable pour toi ? J'aime bien que cela aille super vite. Je ne supporte pas la lenteur dans le travail. Il faut que cela dépote. Perdre mon temps est un vrai calvaire en studio. Je peux être un chien dans ce cas là.

15. Avec Lilith on dirait que tu en avais marre de cette image de chanteur terrien qui te colle aux bottes ? L'album est plus citadin. Le chanteur Auvergnat c'est une image un peu commode mais je commence à en avoir marre.. Je me sens plus proche du Mississipi que de l'Auvergne. Il faut rétablir les choses.

16. La différence entre toi et Gérard Klein c'est que chez toi on sent qu'il y a du concret derrière cet attachement à la terre. Lui il me fait rigoler. Il se la donne. On dirait Marie-Antoinette à Versailles avec ses moutons.

17. " Le cri du Papillon " premier single me fait étrangement penser à un groupe qui a de nombreuses similitudes avec ta façon de penser la musique : les Littles Rabbits ? Eux comme toi, vous êtes très attirés par la musique qui vient d'Outre-Atlantique. De toute façon, tous les gens qui font de la musique et qui branchent une guitare électrique, dans la mesure où les grands chefs-d'½uvre ont été faits là-bas le sont... déjà je joue sur un ampli Fender, une guitare Fender. C'est la couleur US. Je connais peu de luthier français.

18. La musique c'est une histoire d'objet aussi. Tout à fait. La musique que j'aime c'est le contrôle de la saturation. La musique électrique mais qui sature. Le contrôle de la saturation est fondamental. J'ai une collection de guitare, je mets mon fric la dedans et c'est vrai que je passe un temps fou à trouver les bons sons. Sur cet album là j'ai passé plus de temps à réfléchir au matériel utilisé qu'à écrire les textes.

19. D'ailleurs tu dis souvent que tu fais de la poésie comme tu pisses. Ben ouais. J'en fais depuis tout petit. Les gens ont des idées à la con. Ils pensent que je me bourre d'absinthe. Que je ressemble à Francis Lalanne. Mais pas du tout. J'ai toujours aimé ça. C'est mon hobby. Un truc où je suis assez doué. Quand j'avais neuf ans, je voyais une fille qui était jolie et je faisais trois pages de poésie pour elle. C'était après que cela se compliquait : Je lui offrais et j'avais des expériences super humiliantes ensuite (rire). J'ai arrêté de le faire. Les filles c'est bête des fois.

20. Tu as connu ta vengeance en devenant chanteur. Ouais. Je les vois des fois maintenant qu'elles sont grandes, qu'elles font cent kilos, qu'elles ont quatre chiarres incontrôlables. Qu'elles sont mariées avec un pharmacien alcoolique. Je vais acheter mon Dolyprane chez elle et je fais semblant de ne pas la reconnaître. J'espère qu'elle souffre ! Je me dis dans ma tête, tu te souviens quand j'avais neuf ans et que tu t'es foutu de moi parce que je t'offrais un poème. Et elle de son côté, doit se dire qu'elle est bien bête et qu'elle aurait été bien plus tranquille avec le chanteur qu'avec l'alcoolo. Trop tard ! bien fait ! (rire)

21. L'album que tu devais enregistrer aux États-Unis au moment des évènements du 11 septembre semble te poursuivre ? Je ne suis pas prêt à retourner aux Etats-Unis, je suis une sorte de traumatisé du onze septembre. Je n'ai toujours pas digéré ce truc.

22. Tu fais appel souvent à des artistes étrangers, mais pas pour déclamer dans les journaux " vous avez vu qui je suis capable de ramener sur mon disque " mais vraiment pour leur laisser une place avec leur propres caractéristiques ? C'est normal. Je leur fait entièrement confiance.

23. Tu n'hésites pas à faire intervenir des chanteuses dans tes albums pour donner un son distordant à ta propre sonorité vocale ? Sur Lilith, il y a Armelle du groupe " Holden " qui chante deux titres avec moi et Camille, cette jeune fille est très douée. J'ai toujours cru en elle. Je lui ai demandé si elle voulait s'occuper des ch½urs en lui donnant carte blanche. Elle s'est débrouillé comme un chef en sachant exactement ce que je voulais. Elle est vraiment bonne cette gonzesse. Chez Source ils travaillent n'importe comment sur elle, c'est un véritable scandale. Elle mérite vraiment qu'on s'attarde sur son travail.

24. Ta voix devient au fil des ans un instrument que tu sembles maîtriser à la perfection, à l'instar de chanteurs de Rythme and Blues ? A force de chanter je commence à savoir chanter. Mais ça fait plaisir ce que tu dis. J'écoute ça toute la journée chez moi. Cela doit déteindre un peu quand même. C'est une volonté de ma part d'être très libre avec le chant.

25. Tes prestations scéniques sont à milles lieux de tes albums, pendant que certains chantent la track list de leur nouvel album note pour note, toi tu ne fais aucune concession et pars dans des délires renouvelés chaques soirs. Sur la prochaine tournée je vais essayer au contraire de revenir à quelque chose de plus proche du disque. Ca devenait systématique de faire sur scène des choses différentes. C'était mon tic. Une habitude. C'est bien de casser les habitudes. Tenter de nouveaux trucs à chaque tournées. J'aime les machines, j'aime les instruments classiques, je ne vois pas pourquoi je resterais collé à une base lourde à gérer.

26. " Nu dans la crevasse " chanson phare de " Mustango ", semble t'avoir libéré d'un poids pour la suite de tes productions musicales ? J'ai toujours bien aimé les morceaux longs qui ont du souffle. Et " Nu dans la Crevasse " m'a effectivement libéré de certaines contraintes. J'essaye tant bien que mal de garder ce souffle depuis.

27. Continuellement quand on te cherche un référant, on parle de Neil Young, mais n'est ce pas plutôt l'image de Neil Young avec tout ce qu'il représente pour un jeune français quand il l'entend pour la première fois qui t'a marqué plutôt que sa musique propre ? Non. J'aime vraiment sa musique. Sa voix, le Crazy Horse tout ça j'adore. Bien sur que j'aime les Etats-Unis et l'idée de pouvoir recommencer plusieurs fois sa vie là-bas. Que grillé à New York tu puisses rebondir à Chicago, puis à Memphis, etc... J'ai toujours aimé ce Far-West, ces grands espaces.

28. C'est ton syndrôme Jim Harrison ? Oui voilà. Jim Harrison pour qui j'ai composé " Jim " me présente à ses amis comme le Neil Young français. Je relativise mais je vais pas cracher dessus (rire).

29. Tu continues tes auto-portraits au vu de la pochette de Lilith. Que t'apporte la peinture ? Dès que j'arrête la musique je bascule dans la peinture. Je suis assez obsédé par la peinture.

30. Le fait de se peindre c'est aussi un moyen de garder un ½il sur sa véritable personnalité ? C'est une névrose. Un problème d'ego. Ca dénote un problème. Des névroses douces.

31. Tu suis une psychanalyse ? Non, je ne vais pas aller payer une fortune pour que quelqu'un qui n'en a rien à foutre écoute toutes mes conneries. Mon analyse je la fais sur scène et en disque : je paye pas et ça me rapporte.

32. Certaines de tes peintures ressemblent au corps du christ à la descente de la croix ? Est ce que c'est le destin d'un chanteur ? C'est pas le mien mais c'est vrai que si tu fais comme Renaud, que tu fais croire que tu as toujours trente trois ans depuis trente ans, que t'as fait une grosse traversé du désert, que tu as beaucoup souffert à cause du Ricard et que tu portes tous les péchés du monde et qu'en plus tu es un brave garçon pour dire que c'est pas juste, tout d'un coup tu as cette image du Christ et les gens te sauvent comme ils ont envie de sauver le Christ. Il y a beaucoup de Christ dans la chanson et dans l'art en général. Quand les mecs n'ont plus d'idée ils essayent de se faire prendre pour Jésus.

33. Ca t'énerve ça ? Ouais ça m'énerve beaucoup de se faire prendre pour le Christ en allant toutes les semaines chez le coiffeur pour se faire une teinture blonde. J'aime bien Renaud mais au lieu de souffrir tous les péchés du monde il dit j'ai souffert tous les péchés du Ricard.

34. C'est un peu tragique. C'est dramatique même ! Genre c'est un poivrot. Renaud c'est un poivrot qui chante et les gens ne l'aiment pas parce qu'il est chanteur mais parce qu'il est poivrot. C'est très bizarre. En plus apparemment il supporte pas les concessions mais putain, aller chez son coiffeur faire une teinture blonde c'est quoi !

35. Et toi la teinture tu y penses ? J'ai pas une gueule à me faire une teinture. J'ai vu que José Bové se faisait une teinture.

36. Tiens en parlant du Larzac, on ne t'a jamais vu militer au côté du José ? Je suis d'accord avec toutes ses idées, mais ça m'énerve que mes idées soient défendues par un con. Je pense qu'il les sert très mal. Je dirais même qu'il les déssert. Il discrédite les idées qu'il défend. Tellement il est commun, on dirait un petit bourgeois parvenu avec la voix de Bernard Montiel et le charisme d'une limande morte.

37. Tu connais ses origines ? Oui. Né et élevé aux States, avec un père ingénieur qui travaille dans l'énergie atomique, grandes écoles aux États-Unis. Il suffit de regarder ses mains, il a pas des mains de paysans. Quand il avait son troupeau il s'en occupait jamais. C'est un fils de bourgeois, c'est dire un fils de mec qui a du pognon. Lui il a sa maison à Lacanau. Je suis d'autant plus sévère qu'il se fait passer pour un fils de pecnot et que c'est pas du tout le cas.

38. On arrive à la fin de cette interview, j'espère en tout cas que " Lilith " aura un beau succès. Ca m'étonnerait on me dit ça à chaque fois. Croisons les doigts.

39. Paradoxalement, si tu avais une victoire de la musique pour " Lilith " tu serais malheureux. J'irais pas surtout. Moi le seul truc c'est que j'aimerais bien tourner dans des salles plus pleines, d'avoir des meilleures conditions. Éviter de devoir dormir dans des Formules 1. Je suis vraiment épuisé parce que je dois faire tout moi même. Je fais deux cents cinquante clampins par concert. En tout cas je vende pas assez de disques pour assumer l'ambition que je voudrais avoir pour moi et ma musique. J'en fais pas une affaire non plus mais c'est vrai que j'aimerais en vendre plus.

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