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Mis en ligne dans le kiosque le 28 mai 2013.

« Renaud, je l’aime et il m’aime »

Thierry Séchan s’adresse à son cadet dans «Lettres à mon frère», revenant sur leur complicité, leur ressemblance mais aussi leur brouille.

Depuis trente ans, il ne s'est pas passé un seul jour de ma vie où l'on ne m'a dit : {{Vous savez que vous ressemblez à Renaud?, Comment il va?, etc. Pourtant, et c'est génétiquement incompréhensible, jusqu'à 30 ans, on ne se ressemblait pas}}, raconte Thierry Séchan, né deux ans avant les jumeaux Renaud et David qui, eux, sont physiquement très différents.

Dès l'enfance, les deux frères sont liés par une forte complicité qui se voit renforcée en Mai 68. On a été maoïstes, hélas, on défilait avec le Comité Vietnam. Il a fêté ses 16 ans sur une barricade et s'est retrouvé en photo dans Paris Match. Plus tard, je l'ai emmené en Grèce, je lui ai fait lire ses premiers livres : Drieu La Rochelle, Rimbaud.

Mais tandis que l'aîné suit des licences d'italien, d'histoire et de lettres, le cadet quitte l'école et s'installe brièvement dans un village de Lozère avec des anarchistes d'opérette, avant de revenir travailler dans une librairie parisienne. Il intègre la Café de la Gare, fréquenté par Coluche, Patrick Dewaere ou Miou-Miou, tout en jouant dans le métro où il est repéré par deux producteurs prêts à enregistrer son premier album. Il voulait que je sois écrivain, lui serait chanteur, rapporte son frère. Mais il n'acceptait pas que je sois un chanteur ou que je dise qu'il est aussi un écrivain.

Lorsqu'à son retour des Francofolies de Montréal en 1999, Thierry lui fait écouter son album, Renaud lui dit que ses textes sont magnifiques mais qu'il a une voix de fiotte.

Pour l'auteur des lettres, les prémisses de sa dépression sont à chercher en 1985 dans le concert à Moscou durant lequel, au moment où Renaud chante Déserteur, une grande partie du public s'en va. Il aimait les communistes et il ne pouvait pas supporter de s'être fait piéger. C'était un traquenard, considère-t-il, regrettant de n'avoir pas pu l'accompagner pour pouvoir relativiser cet affront.

En 1997, parce que l'auteur de Morgane de toi n'est plus vivable, sa femme Dominique le met dehors. Alors qu'il est l'un des plus grands vendeurs de disques en France, il arrête d'écrire et plonge dans l'alcool, éclusant sa bouteille de Ricard quotidienne à la Closerie des Lilas, à Paris. Il ne doit pas aller loin : il partage en effet avec son aîné un grand appartement situé au-dessus du bar. Pendant trois ans, j'ai été la nounou, le garde du corps, la gouvernante, le conseiller. C'était une horreur, plus jamais ça, commente celui qui se souvient de longues heures désespérément mutiques.

S'ils sont brouillés depuis deux ans, c'est à cause de Romane Serda. Thierry n'aime guère cette Bécassine puissance mille dont Renaud a produit le premier album en 2004, interprétant avec elle le tube Anaïs Nin, et qu'il a épousée à Las Vegas en 2005 avant de divorcer six ans plus tard. Elle était complètement vénale, ne connaissait pas son ½uvre mais savait qu'il était riche et célèbre, gronde-t-il. Sa seule qualité est de l'avoir sorti de l'alcool. L'unique album de son frère qu'il n'aime pas est son dernier, Rouge sang, paru en 2006, qui contient six chansons écrites pour elle. Et pas une seule n'est bonne, alors que Ma gonzesse, dédiée à sa première femme, Dominique, est un petit chef-d'½uvre.

Thierry conserve une profonde affection pour son petit frère. C'est quelqu'un d'incroyablement généreux et sensible. Comme je dis souvent, j'ai été mon mentor et il fut mon sponsor. S'il mourrait demain, je crois que je ne dormirais plus. Mais en attendant, il ne désespère pas de le voir enregistrer un nouvel album. Convaincu que ce sera un nouveau chef-d'½uvre.

Thierry Séchan, Lettres à mon frère Renaud, L'Archipel, 236 p., 17,95 ¤

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