Entrevues Le Soir, le par be.
Mis en ligne dans le kiosque le 13 décembre 2009.

Renaud a le c½ur irlandais

Quand Renaud, 57 ans, sort un album entièrement dédié à l’Irlande et à ses sortilèges, on n’a qu’une envie : l’envoyer “ballader”.

left Depuis 1991 et une certaine « Ballade nord-irlandaise », qui figurait sur l'album « Marchand de cailloux », Renaud s'était trouvé une patrie de c½ur. L'Irlande, il était complètement « morgane d'elle » et rêvait d'un album qui révèle au plus grand nombre la beauté de son répertoire populaire comme de ses ballades éternelles. Un projet que, pourtant, il n'a cessé de remettre à demain. Jusqu'à ce que, à l'issue de son précédent double album « Rouge sang » et de la longue tournée qui a suivi, Renaud se convainque que le temps était venu de laisser s'exprimer son c½ur irlandais. Une entreprise plus qu'ambitieuse, puisqu'il ne s'agissait pas seulement de doter des chansons irlandaises de paroles de son cru. Mais aussi, de viser l'orthodoxie absolue, en embauchant de l'autre côté de la mer d'Irlande violon, flûte, cornemuse et banjo. Au final, on découvre un album « à vif » baptisé « Molly Malone - Balade irlandaise » qui, très loin de toute velléité folklorique, parle de chômage, d'exil, de guerre et, bien sûr, d'amour. Comme si Renaud avait tiré l'Irlande à lui pour mieux l'intégrer à son répertoire et lui donner la couleur de ses thèmes de prédilection. À un moment de sa vie où, au c½ur du bonheur retrouvé - marié à Romane Serda depuis 2005 et papa d'un petit Malone (comme Molly !) âgé de trois ans - l'ombre de ses démons de toujours n'en finit pas de le hanter. Quand, comme c'est le cas sur les chansons de l'album, sa voix n'a jamais été aussi près de se briser. Peut-être pour toujours...

Il y a longtemps que vous rêviez d'enregistrer ce disque, entièrement composé de musiques irlandaises ?

Depuis l'époque où j'ai découvert Belfast et Derry, l'Irlande du Nord et l'Ulster. J'ai écumé les marchands de disques locaux et je me suis constitué une discothèque de folie. Toutes ces années, j'ai continué à écouter de la musique irlandaise et je me disais toujours qu'entre deux albums - quand j'aurais le temps - j'enregistrerais un disque 100 % irlandais. Et puis, comme mon dernier album « Rouge sang » contenait 26 chansons, j'avoue qu'après, je me suis senti un peu en manque d'inspiration. C'était le bon moment.

right Vous vous êtes fait plaisir ?

Bien que je sois auteur-compositeur, avec mes qualités et mes défauts, j'aime faire ½uvre d'interprète. Des chansons, il y en a des millions dans le monde. J'aime bien cette idée de faire découvrir, ou redécouvrir, des trésors oubliés, de les tirer de leur fond de tiroir et d'inviter le public à se pencher sur eux. Ce n'est jamais qu'une autre façon de dire qui je suis et ce que j'aime.

Vous qui, dans votre précédent album, fustigiez les bobos et les people, vous avez ressenti le besoin de revenir à des considérations plus terre à terre ?

C'est vrai que ces chansons, ce sont les histoires de « petites gens ». Ils ne sont pas heureux dans leur pays et espèrent que l'herbe sera plus verte ailleurs. C'est pourquoi ils se déracinent. Avec l'espoir non pas de faire fortune mais de trouver du travail. Pour revenir un jour, plus riches et plus aimés qu'avant. Ça m'a paru plus intéressant de parler de misère, de chômage et de fraternité que de produire des petites chansons anecdotiques, très franco-françaises, sur nos travers. Les miens comme ceux des bobos.

De ce côté-ci de la mer d'Irlande, on connaît peu ou prou les chansons que vous avez adaptées. Êtes-vous resté fidèle aux textes originaux ?

Pour la plupart des chansons, j'ai choisi de rester fidèle aux paroles d'origine. Tandis que pour d'autres, je me suis autorisé à dériver.

Sur la chanson qui donne son titre à l'album, « Molly Malone », vous avez fait d'une marchande de poisson une marchande de fleurs. Peut-on parler de licence poétique ?

C'est vrai que dans la chanson d'origine, elle vend des coques et des moules. On a fait plus poétique. J'ai préféré la pourvoir en lilas et en roses.

Sous le couvert de folklore irlandais, les chansons de l'album parlent de chômage, d'exil, de guerre, d'amour et d'absence. Des thèmes tout ce qu'il y a de plus actuels...

Plusieurs d'entre elles parlent effectivement du chômage, de la difficulté de vivre, de misère même. Ce sont des difficultés que les Irlandais connaissent bien, pour avoir vécu le démantèlement des chantiers navals, la fermeture des mines, des aciéries, des filatures. On peut considérer que ce sont des thèmes universels mais l'Irlande a été tout spécialement éprouvée par ces bouleversements, qui ont marqué les quarante dernières années.

Dans « Belfast Mill », vous chantez : « Je suis trop vieux pour travailler mais trop jeune pour mourir. » Si l'on vous écoute, on comprend que le travail n'est pas qu'une façon de gagner sa vie.

Il s'agit plutôt de conserver sa dignité, voire son identité. Le manque de travail et l'exil pour en trouver sont les deux fléaux de l'Irlande.

Il y a aussi le conflit entre ces deux communautés antagonistes que sont les Protestants et les Catholiques.

C'est volontairement que j'ai choisi de ne pas en parler. Seules deux ou trois des chansons de l'album font référence à la guerre et, pour l'une d'entre elles, il s'agit de la guerre 14-18, qui a vu mourir tant d'Irlandais. Seule la « Ballade nord-irlandaise » évoque clairement le conflit entre Catholiques et Protestants, qui se déchirent depuis des siècles. Heureusement, aujourd'hui, les uns et les autres semblent avoir trouvé un peu de sérénité.

left Dans vos chansons, vous décrivez une Irlande économiquement dévastée. Pourtant, on a longtemps parlé du « miracle irlandais ».

Il a bel et bien eu lieu. Il a duré dix ans, grâce aux subsides de l'Europe. Mais désormais, c'est bien fini. On dirait que les Irlandais n'ont sorti la tête de l'eau que pour mieux replonger. La crise actuelle les frappe de plein fouet.

Les Irlandais n'en ont pas fini avec l'émigration. Qu'est-ce qui vous touche à ce point dans le thème de l'exil ?

Ces gens qui, pour certains, partent sans se retourner, sans trop bien avoir conscience de ce qu'ils laissent derrière eux et qui, un jour, mesurent leur attachement à leur pays et le déchirement d'être loin de lui. Souvent trop tard. Vers quoi, vers qui reviendraient-ils ? Plus personne ne les attend nulle part. Et pourtant, conserver intacte cette nostalgie du pays - aussi brûlante et insupportable soit-elle - les aide à conserver leur identité.

Vous décrivez les Irlandais souvent malmenés par le destin mais qui, pourtant, ne courbent jamais l'échine. Qu'est-ce qui fait, selon vous, la « grandeur » de ce peuple ?

Même au fin fond de l'Alabama, au c½ur de la nuit brûlante du Sud, ils ne rêvent que des vertes prairies du Connemara, de leur île bordée par un océan sauvage. Où qu'ils aillent, ils forment une communauté incroyablement soudée. Peu importe où vous êtes le 17 mars, même à l'autre bout du monde, il y a toujours des Irlandais pour fêter la Saint-Patrick. Sans aller jusqu'au bout du monde, pour beaucoup d'irlandais, l'exil commence de l'autre côté de la Mer d'Irlande, en Angleterre. Prenez des écrivains comme George Bernard Shaw ou Oscar Wilde, qui se souvient aujourd'hui qu'ils étaient irlandais ? L'exil, ce n'est pas que s'éloigner de la terre ou des gens qu'on aime, c'est aussi mettre de la distance entre soi et ce qu'on est au plus profond de son c½ur. Cela dit, heureusement que l'âme des irlandais continue à voyager à travers les nombreux écrivains irlandais. Des écrivains magnifiques. En ce moment, je suis en train de lire « Eureka Street », de Robert McLiam Wilson. Peut-être le plus grand écrivain irlandais vivant. La littérature irlandaise, c'est un mélange de rébellion et de fraternité, de joie de vivre et de mélancolie. Avec cette volonté de chérir cette dernière, aussi cruelle soit-elle.

Des textes français sur des ballades irlandaises, vous avez douté que ça puisse fonctionner ?

Bien sûr que j'ai douté. À chaque sortie de l'un de mes disques, je doute. Et là, encore plus. Puisque cet album n'est pas complètement de moi. Non seulement, je n'ai pas composé les musiques mais les textes ne sont que des adaptations. Mais malgré ces doutes, je suis bien obligé de reconnaître que cet album me ressemble. Je crois sincèrement qu'il ne déparera pas l'ensemble de mon répertoire, qu'il ne déroutera pas mon public non plus. Si, par le biais du regard que je pose sur elle, je peux amener quelques personnes à s'intéresser de plus près à la musique irlandaise, j'en serai ravi. Je pourrai me dire que j'ai fait ½uvre utile.

Vous décrivez l'amour - celui de la patrie perdue ou de la fiancée qui attend peut-être - comme un phare qui éclaire la noirceur de l'exil.

L'amour guide la vie. Il y a dans cet album quelques chansons qui parlent d'amour. Même si ce sont des aventures idéales. Comme le phare, l'essentiel n'est pas de le rejoindre mais plutôt qu'il continue à éclairer nos nuits.

On sent que vous ne vous prêtez pas volontiers à l'exercice de l'interview. C'est un pensum pour vous que de devoir assurer la promotion de cet album ?

Non parce que je l'aime. Mais, en même temps, je ne suis pas convaincu de l'intérêt qu'il y a à m'écouter délirer sur mes propres créations. À chaque fois, je me dis : « Qu'est-ce que je vais bien pouvoir raconter sur ce disque ? » J'ai l'impression que tout est dedans.

C'est le jeu médiatique, aussi, qui vous embarrasse ?

C'est vrai que j'ai l'habitude de me faire assassiner par la presse et les médias en général. La plupart du temps, par des gens que je n'ai jamais rencontrés et qui n'ont pas écouté mon disque. Je ne gère pas bien la notoriété. J'ai toujours envie de me dissimuler au regard des gens pour, selon le vieil adage, vivre caché et heureux. Mais là, je suis obligé de me montrer au grand jour, avec mes pauvres propos et ma pauvre voix enrouée, enfumée par le tabac. Je me fais violence. Je n'ai pas envie d'avoir à me justifier, à expliquer qui je suis, ce que sont mes chansons. J'ai parfois l'impression que ça n'intéresse personne. Quand on m'invite à la télé, c'est pour parler de politique ou de Betancourt. Je parle de tout et de rien mais rarement de mon travail. Je préfère être engagé dans mes chansons plutôt que dans mes propos. Je ne dis jamais aussi bien ce que je suis et ce que je pense, que dans mes textes.

Mais vous irez quand même en télé pour la promo de cet album ?

Une ou deux émissions, pas plus. Bien obligé. La télé, c'est soit trop long, soit trop court.

Merci à Vincent le Borgne pour l'article original : page 54, page 55, page 56, page 57.

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