Renaud « ''Molly Malone'' sera mon chant du signe »
RENAUD Un album en 2006. un concert en 2007, puis le silence. Mais le voici qui revient, interprète emballant de chansons irlandaises. Le voici qui revient. sans plus de gouaille ni de cynisme, métamorphosé semble-t-il, en paix peut-être enfin. Entrevue, rare désormais, pour « Le Monde Magazine ».
Photos Claude Gassian pour Le Monde Magazine
AMOUREUX DE L'IRLANDE
Dublin, Derry, Belfast, Cork, Galway, Limerick : en 1997, Renaud avait donné sans tambour ni trompette une série de concerts dans les pubs d'Irlande. Il s'était dit que toute la musique qu'il aimait venait de là, des vieilles rengaines des Dubliners et des traditionnels adaptés ensuite par Bob Dylan. Juré. craché, lui aussi enregistrerait un jour sa version de Molly Malone... Il aura fallu attendre douze ans et quelques coups de Trafalgar du destin. Peu importe. La promesse est tenue. Et bien tenue. Épaulé par des pointures de la musique irlandaise comme Emer Mayock (flûtes, fiddle), Pète Briquette (piano, guitare) ou Paul Harrigan (cornemuse, accordéon). Renaud a mis à sa sauce des hymnes comme Johnston's Motor Car (un épisode authentique et hilarant de l'histoire de l'IRA, la seule véritable chanson politique du lot), Dubliners (déclaration d'amour à Dublin), Willie McBride (chanson pacifiste) ou Je reviendrai (sur ce fameux exil aux États-Unis des Irlandais), Molly Malone, Balade irlandaise, '1 CD Virgin/Emi, dans les bacs le 23 novembre'.
D'abord, il ne dit rien. La pièce blanche et sans apprêt où nous nous trouvons au Centre culturel irlandais ressemble à une cellule de moine. Et lui aussi, avec sa chemise blanche, sa veste noire, son soupçon de barbe grise, sa minceur de moineau, sa croix huguenote autour du cou, il a quelque chose d'un ermite qui a choisi le silence. Nous sommes face à face sur deux méchantes chaises. Drôle d'endroit pour une rencontre. Au début, il y a plus de trente ans, Renaud, on l'interviewait en jouant au flipper dans un rade de la rue des Écoles ou dans l'arrière-salie enfumée du Bar des Amis dans le Marais. Ensuite, ce fut la pénombre feutrée de la Closérie des Lilas. Aujourd'hui, le dépouillement immaculé... Autrefois, il évoquait la truculence verbale d'un Frédéric Dard ou d'un René Fallet. Maintenant, ce serait plutôt le jansénisme pointilleux d'un Jean Echenoz. Si la gouaille malicieuse s'est enfuie, reste cette désarmante timidité bougonne. Il cherche ses mots. Puis se lance :
Je n'ai plus envie de me montrer, de faire des photos, de passer à la télé, d expliquer le monde, de répondre à des questions, de me justifier sur mon travail, mes idées, mes emportements... Je n'ai pas envie de lasser les gens par une présence trop excessive.
Il n'y a guère que la sortie imminente d'un
nouvel album qui puisse pousser l'ancien apache des fortifs à sortir de sa réserve...
Depuis quelques années, le chanteur, qui ne se veut plus énervé, a adopté la maxime Pour vivre heureux, vivons cachés
. Il a déserté la scène, abandonné les studios d'enregistrement, tourné le dos aux micros et aux caméras, délaissé les colonnes des journaux. Après un incroyable concert privé à La Cigale au printemps 2007 offert aux plus purs et durs de ses fans, où il chanta pendant cinq heures et demie soixante-dix de ses chansons, il prit la tangente. Et quitta même son cher 14ème arrondissement parisien, où, entre porte d'Orléans, boulevard Edgar-Quinet et rue Hallé, il vécut près de cinquante-cinq ans. Pour habiter dans les Hauts-de-Seine, à Meudon, la ville d'un autre ermite, Céline, l'écrivain misanthrope.
C est une petite banlieue sympathique et charmante. J'habite une grande maison avec jardin mais dans une rue sinistre qui donne sur un cimetière. Cela ma mis dans un tel état de déprime que je n'ai pas souhaité repartir sur les routes
explique-t-il. Avec un humour féroce, sa fille Lolita commente sur son blog :
Comment lui qui agrandi sur les trottoirs de Paname, qui a passé des heures dans les bistrots parisiens à refaire le monde dans un sens puis dans l'autre sans oublier de l'arroser au passage, comment ce papou parisien jusqu'au bout de la barbiche peut émigrer à Meudon ? Et le pire c'est qu'il déteste cette ville ! Il n'assume pas du tout d'avoir à dire qu'il vit là-bas. C'est sûr, ça fait prout prout... Encore une longue traversée du désert en perspective. Remarquez, c'est pas mal Meudon, c'est tellement mort que personne ne notera qu'il a tué sa femme si elle gagne au Trivial Pursuit.
L'INTERPRÈTE
À Meudon, donc, Renaud décida de ne plus bouger, de ne plus sortir. Et de se consacrer à sa famille. Plus particulièrement à Malone, son nouveau brimborion.
Désormais, j'essaie de m'occuper de l'éducation de mon fils. Cela prend du temps. C'est
bruyant et mouvementé. Bien que ce soit un amour, depuis qu'il va à la maternelle, il a tendance à être désobéissant !
précise-t-il. Internet occupa aussi beaucoup de son temps.
J'y ai passé mes jours et mes nuits. Je "chattais", comme ils disent, avec des fans qui sont devenus des copains. J'avais un pseudo mais ils savaient qui j'étais. On discutait de tout, de politique, de chanson, de faits divers. On s'engueulait. On se lançait des vannes. Je leur envoyais des photos de mes récoltes de courgettes, de tomates, de poivrons, d'aubergines, d'oignons, de pommes de terre, de carottes dans mon potager bio de l'Isle-sur-la-Sorgue, des films de vacances, toute ma vie quoi... J'avais l'ordinateur sur les genoux jour et nuit. Je me levais à 6 heures du matin pour me connecter : il y avait toujours quelqu'un sur la Toile pour me répondre... Êre accro à l'écran et à la communication, c est une drogue dure. J'ai dû me désintoxiquer. Mon couple s'est trouvé en péril à cause de çà. Ce n'était pas très sympathique de ma part de délaisser Romane et Malone au profit d'inconnus
reconnaît-il. Quelques-uns de ces inconnus sont pourtant devenus des amis. Henri Loevenbruck, par exemple. Un drôle de citoyen. Auteur de romans fantastiques à ses heures perdues (Le Testament des siècles, 2003, Le Syndrome Copernic, 2007, Le Rasoir d'Ockham, 2008, Les Cathédrales du vide, 2009, tous chez Flammarion) mais aussi chanteur... C'est lui qui a aidé Renaud à adapter en français les chansons traditionnelles irlandaises figurant sur son nouvel album, Molly Malone. Sa fascination pour la Uerte Erin ne date pas d'aujourd'hui. En 1991, sur l'album Marchands de cailloux, il chantait déjà La Ballade nord-irlandaise, une adaptation fort personnelle de The Water is Wide, un morceau traditionnel popularisé par Bob Dylan, Joan Bacs ou Neil Young et déjà interprété en français par Bourvil.
Je n'ai aucune racine celte mais j'ai toujours été fasciné par ce pays, ses paysages, sa mythologie autour de l'exil de ses habitants aux États-Unis, son combat contre l'Angleterre. À Dublin, j'ai découvert une fraternité une convivialité, une joie de vivre en dépit des difficultés. À Belfast, moi, le protestant pure souche je me suis senti catholique. Parce qu'ils sont rebelles, exploités et dans la mouise.
En panne d'inspiration après Rouge sang, un double album dédié à Romane, sa nouvelle épouse et muse, Renaud s'est dit que, comme il l'avait fait avec Brassens, les airs ch'tis ou les chansons réalistes de Fréhel, il pouvait peut-être enregistrer un album d'interprète. D'où Molly Malone et autres airs devenus des hymnes légendaires...
Ce n'est ni un disque militant, ni engagé, ni pro-IRA, ni républicain., C'est juste une histoire de fraternité. Les Lacs du Connemara, de Michel Sardou, sont une sacrée belle chanson et j'aurais bien aimé avoir le talent d'en écrire une sur le même thème. Je n y suis pas arrivé et j'ai préféré adapter des morceaux des Dubliners ou des frères Furey en restant très fidèle aux originaux.
Cela va lui prendre deux ans. Deux ans de flemme, certes, mais surtout de doute, d'hésitation, de cet « à quoi bon » chanté autrefois par Serge Gainsbourg,
Je culpabilise à cause de ma voix. J'ai peur de ne plus être à la hauteur. Elle se détériore au fil des années. J'ai des polypes sur les cordes vocales qu'il faudrait que je me fasse enlever. Sur les blogs et Internet, il y a déplus en plus de commentaires du genre : "Ah, oui ! J'ai entendu ses nouveaux titres, la voix est de plus en plus pourrie." Des réflexions qui m'amènent à penser que, peut-être, il faut m'arrêter là. Cet album sera mon chant du cygne !
Et il se marre, ne croyant pas lui-même à cette forfanterie...
L'ÉCOLO
Mais alors Mister Renaud, puisque vous vous débinez vous-même, qui, dans le paysage musical actuel, trouve grâce à vos yeux ?
Pas grand mande... Je tends rarement le bras vers ma chaîne hi-fï. A part les
Beatles re-mastérisés je ne vois pas. J'aime bien Renan Luce qui en dehors d'être mon gendre, a du talent. Il correspond au portrait charmant que je dressais, d'une façon prémonitoire en l994, dans Mon amoureux, du futur fiancé de Lolita.
Certes. Dites-nous cependant ce qui provoque en vous quelques émois esthétiques ?
Le monde immense de l'art contemporain... Claude Berri m'y a initié en m'amenant à des expositions.Il m'a poussé à acheter deux encres d'Henri Michaux. À force de l'écouter m'expliquer les toiles blanches de Robert Ryman, j'en ai perçu l'émotion, la force la texture. Je suis tombé sous le charme absolu de Keith Harring, Jean-Michel Basquiat ou Roy Lichtenstein.
Ah, bon ? Et si on s'énervait un peu, là, en parlant politique par exemple ?
JE SUIS L'ACTUALITÉ D'UN OEIL DISTRAIT. JE ME CONTREFOUS DU SARKOZYSME, DES REVIREMENTS, DES RENIEMENTS...
Je suis l'actualité d'un ½il distrait. Je me contrefous du sarkozysme, des revirements, des reniements des ministres soi-disant d'ouverture... Aux dernières élections européennes, j'ai soutenu Cohn-Bendit à fond. C'est le seul agitateur d'idées qui me semble cohérent, honnête et surtout plus préoccupé par le sort de la planète que par le sien ! J'ai beaucoup d'admiration pour Besancenot, mais le destin des postiers m'importe moins que le futur de la planète !
Et toc. Renaud l'écolo vient d'enregistrer son seizième album où figurent treize chansons que l'on a envie de fredonner devant un bon vieux feu de bois. C'est la seule information qui vaille.
RENAUD AU FIRMAMENT DE LA CHANSON FRANÇAISE
- 11 mai 1952 Naissance à Paris de Renaud Séchan. Sa mère est d'origine ouvrière, son père enseignant en langues et écrivain.
- 19 mai 1968 Il occupe, avec quelques autres enragés la Sorbonne, où il compose sa première chanson : Crève salope !
- 1970-1971 Il joue quelque temps la comédie sur la scène du Café de la Gare avec Bouteille Dewaere, Miou-Miou..
- 1974 Il chante en première partie de Coluche au Café de la Gare, où, grand admirateur de Dylan, Brassens et Aristide Bruant, il arbore pantalon à carreaux, casquette de marlou et mégot de prolo.
- 1975 Il enregistre son premier, album, Amoureux de Paname avec l'incendiaire Hexagone, qu'il interprète encore.
- 1977 Son deuxième album, Laisse béton, place durablement Renaud, période loubard en perfecto et santiag, au firmament de la chanson française : avec des morceaux Les Charognards ou Le Blues de la porte d'Orléans. Il apparaît comme le fils spirituel de Brassens.
- 1978 Concert au Printemps de Bourges, où il fait on triomphé; Dès lors l'élan est donné.
- 1979 Troisième album. Ma gonzesse (avec C'est mon dernier bal, qui fut longtemps interdit d'antenne), dans la lignée du précédent, mais avec plus de sensibilité avec un recours systématique à l'autodérision. Cinq concerts au Théâtre dé la Ville ont un immense retentissement.
- 1980 Marche à l'ombre (avec Dans mon HLM, It is not because you are) apparaît comme un classique. Dans des titres comme Baston, Où c'est qu'j'ai mis mon flingue ?. Il chronique avec acidité, cruauté et en même temps beaucoup d'humour la société française. Concerts triomphaux à Bobino et en province.
- 1981 Le Retour de Gérard Lambert (avec Mon beauf, Manu) conclut la période blouson noir d'un Renaud désormais papa d'une petite Lolita.
- 1984 Morgane de toi, largement inspiré par sa fille Lolita. Mais aussi avec Dès que levant soufflera, clin d'½il à Hugues Aufray. Un million d'exemplaires vendus.
- 1986 Mistral gagnant, qui sent le pessimisme et la fatigue, Se vend à 2 millions d'exemplaires.
- 1988 Putain de camion, inspiré par la mort de Coluche, amorce le début d'une profonde déprime. En dehors d'une unique interview à l'Événement du Jeudi, il refuse toute promotion.
- 1991 Marchand de Cailloux, Grand Prix de L'Académre du disque Charles Cros, sent la désillusion et le repli sur soi.
- 1992 Il joue dans Germinal, de Claude Barri.
- 1993 Renaud va chez les Ch'tis avant Dany Boon et enregistre Cante el' Nord.
- 1994 A la Belle de Mai, dédié, à Marseille, avec des chansons composées par, Julien Clerc.
- 1995 Renaud chante Brassens.
- 1996-2602 Dépressif, rongé par l'alcool, Renaud traverse de longues années difficiles.
- 2002 Boucan d'enfer, qui se vend à 2,2 millions d'exemplaires.
- 2006 Rouge sang, chant d'amour à sa nouvelle compagne, la chanteuse Romane Serda.
- 2009 Molly Malone, reprises de chansons traditionnelles irlandaises.