Entretien avec Renaud pour la sortie de son nouvel album « Molly Malone »
C'est pas l'homme qu'a pris l'air, c'est l'Eire qu'a pris l'homme ! Tatassin ! Y s'en souvient très bien, c'était en 91. Un mardi? Un vendredi ? S'en rappelle plus vraiment, mais c'est sûr, ça l'a plus lâché !
«En fait, j'ai toujours été fasciné par l'Irlande, la joie de vivre de ce peuple rebelle, insoumis ». Emmitouflé dans sa doudoune à capuche, clope au bec et pastaga à portée de main, Renaud est comme chez lui à la terrasse de la Closerie des Lilas, Paris 14
(« Où veux-tu que j'me mette pour fumer, hein? Et pis, bon , y a du chauffage ! »).
Le repaire idéal, familier, pour raconter son petit dernier, « Molly Malone » (*), dire, encore et toujours, sa hantise de l'échec, mais avouer, presque sans oser y croire, que les premières critiques « sont très bonnes, dithyrambiques, même ».
En gestation depuis dix-huit ans
Lui, s'attendait plutôt à être descendu en flammes, à entendre parler « d'un album bouche-trou ». Le traumatisme de tant d'années à guerroyer avec une certaine presse. Des blessures à jamais béantes, qu'il tente bien de masquer derrière un pauvre sourire, mais que trahissent aussitôt de petits tremblements soudain plus nerveux : " T'imagines ? Dans la jungle, Leonard's song, les chansons les plus importantes de " Rouge Sang ", mon précédent albim, sont passes quasiment inaperçues. Deux-trois fois en télé et pffuitt ! Ca me désespère ".Le regard bleu s'enfuit, les mots ne sortent plus…
Il faut alors lui dire le bonheur de mettre nos pas dans ceux des Vagabonds, d'arpenter le Belfast Mill et Carlingford, de se marrer aux mésaventures de Johnston's Motor Car et de pleurer sur la tombe de Willie McBride, pour que les mots reprennent le dessus sur les maux. « Ça faisait 18 ans, depuis mon premier voyage à Belfast, que je voulais adapter les plus belles ballades traditionnelles des Chieftains, Dubliners, Fureys. C'est merveilleux d'avoir pu le faire. Surtout avec les musiciens irlandais qui m'ont accompagné ».
Une joie d'écrire aussi ? " Ouais, c'est sûr ! Pour certaines, chansons, on a traduit littéralement, pour d'autres, j'ai tout créé. Mais, à
l'origine, ces textes ne sont pas très éloignés de mon propre univers artistique : le chômage, les crises sociales, l'amitié, l'amour, le pacifisme… ».
Le chômage, la crise… Des thèmes bien connus de la France qui se lève tôt pour gagner moins. Et qui aimerait sans doute que Renaud lui redonne espoir, non ? " Sauf que j'en ai un peu marre d'être LE chanteur contestataire, qui réagit à l'actualité. Je ne suis pas politologue. Si je devais écrire une chanson à chaque loi ou mesure liberticide pondue par Sarko et sa bande, c'est un triple album qu'il me faudrait ! En fait, j'ai l'impression de crier dans le désert ".
Fatigué ? " Oui, de ce que je vois à la télé, aux infos. Des millions de gens vivent sans eau, sans nourriture… C'est ça qui m'intéresse. Et je n'attends rien des politiques. Je crois plus en Hulot, Arthus-Bertrand pour faire bouger les choses, évoluer les mentalités. Faire que les pays industrialisés changent de modèle social ».
Tous les thèmes d'un prochain album, donc ? " Bof ! Je crois bien que ma source d'inspiration s'est épuisée. Y a tellement de choses et tellement de riens qui me viennent quand je me demande ce que je dois écrire.Je suis paralysé entre le brûlot et la chanson d'amour… »
La scène alors ? " Pas avec ce disque. Il me faudrait des musiciens irlandais mais c'est compliqué en ce moment. Et je n'ai plus envie de travailler avec mon équipe habituelle, je veux plus d'acoustique, moins de guitares électriques… Et puis, les gens aiment surtout les anciennes chansons. C'est difficile de faire accepter les nouvelles. Les plus chaleureuses de “Molly Malone”, je les intégrerai à un futur tour de chant. Plus tard… ».
Les fans vont être déçus... " J'ai confiance en eux ! Heureusement qu'ils sont là et qu'ils m'aiment ! Ces dernières années, j'ai beaucoup échangé avec eux via internet. Je me suis fait des potes, je crois que je les connais bien, maintenant. »
La joie d'être grand-père
Et en attendant ? " Je vais m'occuper de Malone (son fils). Il a trois ans, va à l'école. Et puis Lolita (sa fille, aujourd'hui Mme Renan Luce) envisage de devenir maman d'ici un an et demi. J'écrirai sur la joie d'être grand-père! "
Qu'on ne s'y trompe pas. Si la lassitude et le mal-être plombent parfois l'homme, ils ne coulent pas l'artiste. Certes, la vie lui pique un peu trop souvent les yeux, mais c'est ce qui lui permet de les garder grands ouverts. Fixés sur l'horizon de nos consciences à éclairer. Et dès que le vent soufflera, il repartira…
(*) Chez Virgin/EMI..