Entrevues Républicain Lorrain, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 29 juin 2007.

Monsieur Renaud a chassé “le Renard”

Les coups de gueule sont toujours là, les colères et l'émotion toujours à fleur de peau... Mais Mister Renard a définitivement laissé la place à un artiste bien dans ses pompes, chaleureux. Son dernier album et le succès de sa dernière tournée en témoigne. Rencontre, lors de son concert à Epernay, avec Monsieur Renaud.

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Il est 18 h 40. Le ciel noircit à toute allure au-dessus du Millésium, la grande salle de concert d'Epernay (Marne). L'orage gronde quand Renaud arrive de Paris avec ses musiciens. Salue chacun des techniciens qui ont monté la scène, les gars du son et des lumières, serre la pince des cuistots qui nourrissent tout ce petit monde en coulisses. Même le policier qui a ouvert la route à la voiture de Renaud a droit à son bonjour. Plus tard, Renaud acceptera aussi de lui faire une dédicace sympa sur l'album que le fonctionnaire lui fera parvenir. « D'habitude, je suis pas trop flic... Mais lui a une bonne tête ». Il s'excuse aussi des dix minutes de retard pris sur la route pour le rendez-vous qu'il nous avait fixé : « Désolé les gars mais c'est pas moi qui conduit. Ce n'est pas grave, on prendra le temps qu'il faudra ». Promesse tenue. Et largement. Près de trois quarts d'heure en tête à tête dans la loge et une liberté totale de circuler en coulisses et dans les loges avant, pendant et après le concert. Renaud, c'est vraiment la classe.

Vous n'avez jamais autant écrit de chansons d'amour que dans votre dernier album, Rouge sang (Virgin-EMI), un album d'architecture "Romane" disent certains...

« Vous trouvez ? C'est un double album de vingt-six chansons, car il y en a deux en bonus avec le système opendisc internet du CD, et sur vingt-six titres il y en a quoi ? Cinq ou six qui parlent d'amour. Je crois que je suis dans ma moyenne habituelle même si, vous avez raison, j'ai un nouvel amour que j'avais très envie de chanter, "de manière excessive voir redondante" comme me dit ma fille. Et même si c'est plus qu'il n'en faut, elles sont toutes différentes. Et puis j'ai eu l'expérience d'un amour que je croyais éternel... Je croyais que l'amour éternel existait... Il existe peut-être mais pas pour moi, pas pour cette histoire-là... Bref, cette fois-ci, je me suis dit qu'il fallait les faire tout de suite au cas où ! »

Vous avez trouvé le juste équilibre entre les nouvelles et les anciennes chansons, vous arrivez à contenter tous les spectateurs ?

« Ce n'est pas facile de satisfaire les amateurs de tubes, ceux qui veulent retrouver leur jeunesse, ceux qui ont envie des chansons des années quatre-vingt-dix, ceux qui viennent réécouter la bande-son de leur vie - comme l'ont écrit certains de vos confrères - et moi qui ai très envie que mes dernières chansons, mes derniers bébés, vivent sur scène. Je crois avoir trouvé le tour de chant idéal. Mais du coup, il dure plus de trois heures ».

Et vous faites un nombre impressionnant de rappels comme lors de votre concert de Nancy en avril...

« Je vous rassure, il y en a certains de prévu, trois en général. Ça m'est arrivé d'en faire plus. Moins aussi d'ailleurs. Je suis parfois tombé sur des salles que j'ai crues à tort ou à raison plus froide. Et j'étais énervé d'avoir des paparazzi dans la salle qui me mitraillent avec leur portable, qui téléphonent au frangin pour lui faire écouter un bout de chanson et frimer. Ils se font des souvenirs numériques plutôt que de s'en faire dans les yeux, la tête, le coeur. Bref parfois ça m'énerve et je punis en ne faisant pas un des deux medleys. Et bien sûr, dès le concert fini, je le regrette immédiatement ».

Vous n'avez toujours pas osé chanter votre toute première chanson Crève, salope sur scène ? Même un bout dans un rappel ?

« Toujours pas... Elle faisait de la peine à mon père... Je n'ai pas envie de la chanter, ce n'était pas vraiment une bonne chanson. Dans certains concerts un peu délire, il m'est arrivé d'en reprendre un ou deux couplets. Pas plus ».

Le premier titre du concert est Malone, la chanson écrite pour votre fils. Il s'est imposé naturellement ?

« C'est un hymne à la vie, au présent, au futur. Dès que j'ai entendu la mélodie, dès que j'ai entendu l'enregistrement, j'ai su que ce serait celui qui débuterait le concert ».

Vous chanter aussi Elsa, un titre particulièrement émouvant ?

« J'ai beaucoup de mal à la chanter sans chialer... Si je me laissais aller, je ne pourrais pas. Elsa, je l'ai rencontré quand elle avait 8 ans. Elle était venue avec son école m'interviewer : ils m'avaient tous amené des dessins, des trucs de mômes, sympas... C'est la seule qui m'a demandé mon adresse pour m'écrire. Elle m'a envoyé de longues lettres magnifiques, sans une faute d'orthographe... Quand on voit comment certains écrivent aujourd'hui... Elle n'est pas fille de bourgeois, elle habite près de chez vous, en Lorraine, à Allamps. C'est un village pas loin de Toul je crois. Elle a eu la chance d'avoir de bons instituteurs, de bons parents qui lui ont fait une belle éducation. Elle a continué à m'écrire et je lui répondais. Je l'ai revu deux ans plus tard sur une tournée, et sur une autre encore. On s'est régulièrement revu, écrit... A la suite d'un faits divers en banlieue parisienne - deux gamines s'étaient suicidées en sautant du haut d'une tour - j'avais commencé à écrire une chanson sur le suicide des ados. Un sujet qui me bouleverse. Et deux jours après que j'ai commencé à écrire, j'apprends le suicide de son grand frère de 20 ans... Un petit gars bien, doué, beau, intelligent... Forcément, ça me touche encore plus... J'aime bien les chansons de mon répertoire où il y a de l'empathie. Elsa sera d'ailleurs là avec sa famille à Amnéville. Je crois qu'on est devenu un peu plus que des connaissances, j'espère qu'elle me considère comme un ami. Faudra que je me contrôle pour ne pas chialer. Faudra que je me dise qu'Elsa, c'est aussi une chanson d'amour ».

En plus de vos combats pour Leonard Peltier ou Ingrid Bettancourt, vous vous battez aussi pour l'environnement. Renaud cède à la mode ?

« Pas vraiment. Je suis proche de Greenpeace depuis 1982 et les seuls politiciens en qui j'ai confiance, ce sont ceux qui se soucient de l'avenir de nos enfants, de la planète avant les problèmes financiers. Nos petits problèmes franco-français sont dérisoires face à la déforestation, les rivières polluées, la mer dégueulasse, le réchauffement climatique, la banquise qui fond... Alors que l'agriculture biologique peut nourrir la planète entière, on continue à produire des merdes au kilo qui n'ont pas de goût, pleins d'OGM, mauvais pour la santé et qui polluent beaucoup. Le combat pour l'environnement, c'est le combat le plus essentiel. C'est pour ça que j'ai toujours soutenu les Verts depuis 15 ans, que je lutte contre l'horreur tauromachique. Je défends le vivant : l'être humain, les enfants, l'animal, le végétal. On fait partie d'un tout ».

Joan Baez a récemment repris Manhattan-Kaboul...

« Ma soeur était dans la salle à Paris quand elle l'a fait pour la première fois. Elle me l'a dit aussitôt. Elle chante aussi Dans la jungle pour Ingrid Bettancourt. A 15 ans, j'avais son poster dans ma chambre et aujourd'hui, cette reine de la folk song, de la protest song reprend deux de mes titres. C'est clair, c'est une sorte de consécration ».

Vous avez Arrêter la clope ?

« Presque. J'essaye. En parlant de clopes, j'aime bien les petits rebelles qui trouvent "dégueulasses qu'on entrave leur liberté individuelle en les empêchant de fumer dans les lieux publics". Vous avez déjà entendu ça, non ? J'adore quand il balance : "Et ma liberté merde !" Ils revendiquent la liberté alors que la clope c'est un esclavage ».

Propos recueillis par Emmanuel Humbert

Photos de Thierry Nicolas

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