Renaud, en marche… à l’ombre


Pensez, la 120ème date de la tournée… Une ovation immense accueille Renaud le phénix, petite silhouette fragile, bandana rouge autour du cou. Lequel met tout de suite les choses au point avec ces paroles fortes que je vous retranscris ici in-extenso : « Je vais chanter avec ma voix un peu pourrie, ma voix rocailleuse, ma voix caverneuse comme disent les journaux. Ils pourraient ajouter généreuse parce ce que je donne tout ce que j’ai. » Et de rajouter, en tremblant, alors qu’il repousse le pied de micro qu’on lui installe : « Je chante tout seul, debout, le micro à la main, comme les vrais chanteurs ! »
Gloups, grosse émotion dans la foule… Et d’enquiller sur les premiers titres, aussi incontournables qu’immortels. En cloque, quelle claque ! Même si la voix est effectivement plus que chaotique en ce début de concert, elle gagnera un peu en affirmation tout du long du concert, le public retenant son souffle comme s’il craignait la chute d’un funambule gracile et fragile… Un spectacle par moment touchant et pitoyable à la fois, vraiment. Et puis… Et puis… Et puis, il ose, devant les 60.000 spectateurs massé devant la scène, il chante LA chanson à laquelle tout le monde pense : J’ai embrassé un flic. Flottements dans l’assistance, ambiance des plus mitigées, conciliabules atterrés.
Quelques sifflets fusent, une partie du public scande de tonitruants « Police partout, justice nulle part ». Des saluts fraternels, camarades anars ! Qu’il semble loin, alors, le Renaud d’Hexagone ou d’Où c’est que j’ai mis mon flingue. Société, société, tu m’as bien eu… Mais c’est son droit, et c’est son choix… Bien joué, l’enfoiré enchaine sur Manu, et tout est pardonné ou presque. Eh déconne pas, Renaud, c’t’a nous qu’tu fais d’la peine… Dans la foulée, un titre du dernier album ne trouve pas vraiment d’écho au sein du public, avant qu’il n’enquille sur Mon HLM. Que de sentiments ambivalents à cet instant…
Vocalement, c’est certes un véritable massacre, mais c’est tellement honnête, ça vient tellement du cœur sans aucune esbroufe qu’on ne peut lui en vouloir. Et puis, on se dit aussi que Renaud ne serait peut-être plus parmi nous s’il n’était pas remonté sur scène. Ce qui est certain, c’est qu’aucun autre artiste ne bénéficierait d’une telle indulgence de la part de son public… C’est ce moment que choisit le cameraman présent sur scène pour cadrer en (très) gros plan une gentille petite dame au premier rang : sur son t-shirt lapidaire, deux photos avant/après du chantiste. En légende, A la mémoire de notre ami Renaud. Ouch !
Le concert devient un gigantesque tour de montagnes russes émotionnelles, mélangeant allégrement le pire et l’excellent. Oui, décidément, c’est quand qu’on va où ? Les titres, poignants, s’enchaînent sans temps morts : Morts les enfants, Manhattan Kaboul (revisité en Caravane Maboule…), la Ballade Nord-Irlandaise, C’est mon dernier bal… Sur Morgane de toi, avouons-le sans vergogne, j’ai juste chialé comme un veau, et j’ai même pas honte. Vient, bien sûr, Mistral gagnant : Ah, m’asseoir dans la boue, cinq minutes avec toi… Sur Marchand de cailloux, la foule s’empare du tempo sur une gigue irlandaise endiablée, illuminée de surcroit par l’apparition inattendue du soleil sur le parc de la Courneuve… Juste devant nous, une jeune danseuse tourbillonne follement sans fin dans l’herbe boueuse, les jambes gainées, maligne, de hautes cuissardes de pêcheur. Sur les refrains, la foule compacte forme bientôt une gigantesque chorale, tous âges confondus. Si Léopoldine HH nous a mis à poil, Renaud, lui, nous a mis les poils !
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Et qui d’autre que lui peux se permettre de terminer avec ce qu’il appelle un pot-super-pourri, comprenant des bijoux tels Pierrot, Hexagone, Marche à l’ombre, It is not because, Ma gonzesse, La mère à Titi ou Fatigué ?
Et de conclure : « Je suis toujours là, pour vous, grâce à vous.» Et vous savez quoi ? Je crois bien, vraiment, qu’il n’y avait là pas une once de démagogie. Nous repartirons bien plus tard, de ce concert et de la Fête de l’Huma avec devant les yeux cette si belle image sur les écrans géants encadrant la scène : Transformé en phénix, Renaud s’envole, en surimpression, au-dessus de la foule gigantesque pour disparaitre dans le lointain… La fin, la vraie fin, je la volerais à Jonasz, tiens : Renaud, j’t’aimais tellement fort que j’t’aime encore…
Et demain est un autre jour.”