Entrevues Evénement du Jeudi, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 15 octobre 2000.

Faut-il dénationaliser Renaud ?

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L'Événement du Jeudi du 20 au 28 février 1986

Propos recueillis par Yann Plougastel

« Faut-il dénationaliser Renaud ?

Le bitume, c'est son paysage. Le flipper, son missel. Sa gueule d'aminche fait un tabac au-delà des anciennes fortifs. Pourtant, que de difficultés à démystifier le personnage, à souligner la distance que le créateur met entre le loubard de ses chansons et lui-même !...

Dix ans que la moitié du pays est morgane de lui. Dix ans que l'autre moitié d'orange lui cherche des noises. Bien avant qu'il se mette Maggie à dos et tous les joueurs de cricket, ce gavroche universel faisant pas net. Les mecs de la zone le trouvaient un peu bourge. Dur de chanter le blêmissement des achélèmes quand on a traînassé une adolescence plutôt clean sous des marronniers taillé au cordeau. De là à ce que ses textes sentent l'enfant de Marie converti pour la circonstance en loub' de ZUP... les gens sont si mauvaise langue ! N'a-t-on, pas murmuré qu'il n'écrivait pas ses chansons et comme les musiques s'affichaient relativement chétives, mon Dieu ! qu'en restait-il donc ? Renaud, sa vie, son image et ses pompes, je vous le dis, un perpétuel malentendu. Bâti comme une flûte à mousseux, il porte le perfecto comme un têtard de la petite ceinture, et voilà que le parterre se gausse en se demandant s'il n'est pas taillé dans une manche de celui de Lavilliers...

Essuyant les plâtres du Zénith, il y a deux ans, une frange du balcon se gondolait, le traitant de mégalo. Et pourtant. Son spectacle fut l'une des rares réussites complète.

L'ÉVÈNEMENT DU JEUDI : En 1984, pendant la tournée en province qui suivit ton spectacle au Zénith, tu déclarais que tu aimerais être candidat à la présidence de la République. Nous sommes à nouveau en pleine campagne électorale. Que vas-tu faire ?

RENAUD : je ne suis pas candidat. J'ai dit ça en rigolant. Parce que Coluche avait montré la voie. Mais je ne pense pas posséder le pouvoir d'adhésion que suscitent son humour et sa dérision. Ou alors dans le cadre d'un front des artistes qui regrouperait ceux comme Bedos, Coluche (ou autrefois Balavoine) que les hommes politiques écœurent. Mais va savoir si on ferait mieux qu'eux, ce n'est pas une place que j'envie !

L'ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Justement, Coluche et Bedos étaient à Lille pour assister au meeting de François Mitterrand...

Tant pis pour eux. Moi aussi, je vote Mitterrand. Mais je ne tiens ni à me faire des ennemis ni à racoler un public.... Assister à de telles réunions, c'est comme lancer un appel. Et je n'ai pas d'appel... j'ai une passion pour Mitterrand, je l'adore. Mais je ne ferai jamais campagne pour qui que ce soit. Tout le monde sait pour qui je suis contraint de voter. Et, crois-moi, ce n'est pas de gaieté e cœur, parce que je ne peux oublier ni l'assassinat d'Eloi Machoro, ni celui du photographe portugais sur le Rainbow-Warrior.

L'ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Visiblement, connaissant ton audience et la nature de ton public, les socialistes souhaiteraient que tu prennes position...

Ca m'agace. Mais cela ne m'empêche pas de dormir. Honnêtement, je n'ai reçu aucune sollicitation. En-dehors de la médaille des Arts et Lettres que je refuse depuis deux ans...

Soyons clair. Oui, j'ai voté Mitterrand. Oui, je ne suis pas encore sûr de recommencer ; il suffit qu'il m'énerve trois fois à la télévision pour tout remettre en question. Non pas que je sois un déçu du socialisme, parce que je n'attendais pas de miracle. Ce n'est pas le socialisme en lui-même mais des ministres, des attitudes, des promesses non tenues (le nucléaire, le service militaire) qui m'ont déçu.

L'ÉVÈNEMENT DU JEUDI : Avant 1968, tu étais proche des maoïstes du PCMLF. Pendant, tu appartenais au groupe des Gavroches révolutionnaires. Après, tu t'es rapproché des anars. Qu'en reste-t-il ?

Rien. A part une aversion pour les groupes qui ne sont pas de rock et pour tous les partis. J'ai l'impression de militer d'une façon plus efficace avec mes chansons. J'ai marché pour les Beurs et je me suis mouillé aux côtés de Greenpeace. Mais c'est fini. Lorsque je me suis rendu compte que ce mouvement destiné à sauver la planète connaissait lui aussi des luttes intestines féroces, j'ai été définitivement désabusé. Les cartes ou les badges, pour moi, basta !

L'ÉVÉNEMENT DU JEUDI : Autour du cou, tu as une croix huguenote ?

Je suis un protestant, non pratiquant, mais fier de l'être. Dans cette croix, il y a à la fois la colombe de la paix et la croix d'Occitanie... Je suis un anticlérical à la manière de Brassens. Mais le protestantisme, c'est surtout pour moi une histoire intéressante. J'emmènerai ma fille visiter les hauts lieux des camisards, les Cévennes, le musée du Désert. Je lui enseignerai l'histoire des ancêtres. D'ailleurs, elle aussi porte cette croix. Être protestant, cela m'a donné le très vague sentiment d'appartenir çà une minorité opprimée. Je ne pratique pas mais je me sens complice. Lorsque quelqu'un arbore la croix huguenote, cela me facilite les contacts.

L'ÉVÈNEMENT DU JEUDI : Un aspect de Renaud qu'on ne connaissait pas...

Je me définis de moins ne moins. Dans la marée de qualificatifs que les journalistes m'ont attribués, je ne sais pas trop lequel choisir... Chanteur impertinent, ou énervant, peut-être...

L'amour et la tendresse sont devenus les seules valeurs subversives. Le Lemon Incest de Charlotte et Serge Gainsbourg est une très belle chose. Cela scandalise. Mais c'est le regard des gens qui est pourri, pas la démarche !

L'ÉVÈNEMENT DU JEUDI : L'amour, la tendresse, c'est ce qui t'a poussé à créer les Chanteurs sans frontières ?

Il s'agissait de ramasser le maximum d'argent sans faire la quête. En donnant du plaisir aux uns et à manger aux autres. Au bout du compte, on a vendu deux millions de disques et gagné deux milliards de francs. C'est dérisoire par rapport aux besoins, mais c'est mieux que rien. En dépit des polémiques, des sous-entendus, des haines, si c'était à refaire, je le referais... Cela dit, nous attendons toujours la rétrocession de la TVA que Pierre Bérégovoy avait promise.

L'ÉVÈNEMENT DU JEUDI : Bilan positif donc.

Il faut quand même s'étonner que ce soit des chanteurs qui l'aient fait... A la place d'un homme politique je ne serais pas fier... C'est grave qu'on fasse leur boulot à leur place !

L'ÉVÈNEMENT DU JEUDI : En revanche, ton voyage en URSS n'a pas été globalement positif !

J'ai été un peu naïf. Je pensais que l'anti-communisme reposait sur 90 % d'intox ou de propagande. J'avais plein de potes, pas communistes pour deux ronds, qui en revenaient enthousiastes. J'ai voulu aller voir. En plus, du fait de ma culture, l'URSS symbolisait le socialisme, la révolution d'Octobre, tout ça... Après un tel accueil (NDLR : lors d'un concert à Moscou, au moment où Renaud interprète Déserteur : « quand les Russes, les Ricains f'ront péter la planète, moi j'aurais l'air malin », la salle s'est vidée sur ordre d'apparatchiks, je n'ai pas envie d'y retourner. Si cela s'était passé aux États-Unis, ma réaction serait la même.

L'ÉVÈNEMENT DU JEUDI : Pas de rejet pur et simple du communiste, donc ?

Je reste un farouche partisan de plein d'options des communistes français. Je reste persuadé que pour défendre la classe ouvrière, les exploités et les plus défavorisés, les communistes proposent les meilleures solutions.

L'ÉVÈNEMENT DU JEUDI : C'est sans doute pourquoi Coluche s'étonne de ne pas les avoir vus à ses côtés pour les « Restaurants du cœur » ?

Je n'ai pas d'idée sur tout. Mais j'accorde aux communistes le droit de ne pas se prêter au jeu de la cohabitation socialo-RPR. Voir Rocard, Baudis et Toubon côte à côte me gêne... Les hommes politiques laissent les artistes faire joujou tant que leur fauteuil n'est pas remis en question. Faut voir comment ils ont procédé lorsqu'en 1981 Coluche s'est vu crédité de 16 % des intentions de vote !

L'EVENEMENT DU JEUDI : Redevenons sérieux. Depuis que P. Cangioni ne présente plus « Téléfoot », que regardes-tu à la télévision ?

« Le jour du Seigneur ». Puisque Platini est un enfant de la balle... 

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