Émissions Le Soir, le par be.
Mis en ligne dans le kiosque le 21 février 2003.

Un boucan d'enfer pour Renaud

> Le Soir du 17 Février 2003

Un boucan d'enfer pour Renaud

Musique - Les dix-huitièmes Victoires de la musique ont été décernées samedi à Paris

L'Académie des Victoires de la musique, qui tenait pour la dix-huitième fois sa cérémonie annuelle ce week-end, aime beaucoup Renaud. Il y a deux ans déjà, elle remettait à la « chetron sauvage » une Victoire d'honneur, à un moment où le chanteur était au fond du désespoir et de l'alcoolisme, comme il le dit lui-même.

Les ventes millionnaires de son « Boucan d'enfer » de la résurrection ont été confirmées samedi soir, au Zénith de Paris, lors d'une remise de prix retransmise en direct sur France 2, par l'attribution de trois Victoires : interprète masculin, album de chansons et chanson originale de l'année pour « Manhattan Kaboul » partagée avec bonheur par Axelle Red.

L'occasion était bien sûr trop belle pour manquer de relier cette Victoire à l'actualité qui avait vu, quelques heures plus tôt, des millions de pacifistes descendre dans la rue, un peu partout dans le monde. Suscitant une unanimité qui, en d'autres temps, l'aurait dérangé, Renaud a néanmoins tenu à surprendre en remerciant - en plus de tous les gens qui l'ont aidé à faire ce disque - Ben Laden et George Bush... Par leurs crimes passés et futurs, ils ont inspiré les héros un peu dérisoires de cette chanson, a lancé un Renaud malgré tout très ému.

Cette dix-huitième cérémonie fut longue, très longue. Comme d'habitude. Car il s'agit aussi de révéler ou de récompenser des artistes qui, le reste de l'année, ont bien peu d'occasions de passer à la télévision pour y chanter leurs chansons.

Ainsi a-t-on pu enfin entendre les Sanseverino (artiste révélation de l'année) et Vincent Delerm (album révélation de l'année) ou Bénabar, qui représentent ce courant de la « nouvelle » chanson française, ne se sentant pas nécessairement d'affinité avec l'habituelle variété diffusée à grosses doses sur le petit écran.

Marc Slyper, le président du syndicat des artistes musiciens, en a profité, en deux minutes, pour rappeler que la chanson, ce n'est pas que des stars mais aussi et surtout des intermittents du spectacle dont le statut social (assurance-chômage) est menacé en France. Il a purement et simplement appelé les gens à ne pas aller au concert, au cinéma ou au théâtre le 25 février mais bien de se joindre à la manifestation qui partira de la Bastille à 18 heures.

Certains ont sans doute considéré cela comme une fausse note dans une soirée très conviviale, où pratiquement tout le monde a pu chanter, les Victorieux se contentant de remercier leurs collaborateurs.

Si l'Académie a suivi les NRJ Awards qui avaient déjà, en janvier, récompensé Renaud et Indochine, on retiendra malgré tout de cette soirée de jolis sourires, comme celui d'Axelle Red dont personne n'avait oublié l'anniversaire, ceux de Carla Bruni tenant par le bras un Serge Reggiani octogénaire qui chanta en duo avec lui-même à quelques décennies d'intervalle, ou encore le large sourire de ces Québécoises (Natacha St-Pier et Lynda Lemay) qui se reproduisent à une vitesse remarquable.

Et puis on termine par ces v?ux : celui de Renaud de n'avoir pas à écrire un jour « Manhattan Bagdad », et celui d'Axelle de voir « Manhattan Kaboul » traduite en anglais. Car, comme elle le dit souvent, une chanson ne peut pas changer le monde mais peut-être bien faire réfléchir ?·

Voir aussi portait de Renaud


Portrait de Renaud

Renaud énerve et séduit, poète chanteur ne pouvant s'empêcher de dénoncer toutes les injustices. Samedi, la profession lui a remis trois Victoires de la musique.

Renaud a choisi la guitare/
Et la poésie et les mots/
Comme des armes un peu dérisoires/
Pour fustiger tous les blaireaux/

C'est ainsi que se définissait Renaud Séchan, dans sa chanson autobiographique « Docteur Renaud, Mister Renard ». On ne peut autrement résumer celui qui, issu d'un milieu plutôt aisé, a tout de suite rejoint le camp des titis populos, amoureux de verlan, de mobylettes et d'amours véritables. Tel un héros de Vuillemin sur lequel il décalque son Gérard Lambert, Renaud a passé sa vie à chanter sa vie et le monde. Sa vie telle qu'elle va, mal ou bien. Le monde tel qu'il tourne, plutôt mal. Ceux qui lui reprochent encore aujourd'hui d'étaler sa misère mentale, entre dépression et alcoolisme, et d'en faire un fonds de commerce, sur le zinc du bar tabac de la France profonde, doivent se rappeler que la « Chetron sauvage » n'a jamais dévié, dans ses chansons, de cette ligne dénommée honnêteté. Quitte à choisir l'impudeur, voire l'indiscrétion, Renaud a chanté son amour (« Ma gonzesse »), sa femme Dominique avant qu'elle ne soit enceinte (« En cloque ») et après, à la naissance de Lolita (« Morgane de toi »). Une Lolita qu'on a vu grandir au fil des chansons, même quand « Elle a vu le loup ». Mieux que Céline Dion, Renaud est un livre ouvert car ses pages à lui sont d'une poésie, d'une beauté épurée, d'un style auxquels la Québécoise ne pourra jamais se prévaloir. Chanter faux, Renaud ? Mais chanter avec le cœur.

Renaud est une grande gueule et ça aussi eut de quoi énerver plus d'un, en particulier ces intellectuels de salon parisien dont Séchan n'a jamais rejoint la cohorte. Renaud est fils de Villon et de Brassens. Il a le verbe haut et le combat fier. Il les a tous menés : contre la faim dans le monde ou pour un Hexagone moins facho, aux côtés des lanceurs de cailloux, qu'ils soient Irlandais ou Palestiniens. Les sujets de sa majesté d'outre-Manche n'oublieront jamais ce « Miss Maggie » qui, aujourd'hui encore, leur reste en travers de la gorge. Les familles de gueules noires qu'il a retrouvées sur le tournage du film « Germinal » non plus n'oublieront jamais la générosité d'un artiste qui s'est battu pour leur obtenir de meilleures conditions de travail sur le plateau.

Renaud, le copain de Coluche (« Putain de camion »), c'est ce qui fait tout son charme, est le premier à avouer qu'il en fait trop, qu'il devrait parfois réfléchir avant de l'ouvrir mais on lui pardonne tout car seul le c?ur l'a guidé dans toutes ses prises de position. Il en a pris des coups et dans « Boucan d'enfer », c'est un Renaud désabusé qui nous est revenu (Renard désabusé, se marre/ Se contrefout de ce bazar/ Le monde peut crever bientôt/ Renard s'en réjouirait plutôt). Renaud n'en pense pas un mot bien sûr mais il estime qu'il a eu son compte et que d'autres pourraient monter à sa place en première ligne.

Il y a peu, Renaud était fatigué. Mais le succès fabuleux de son « Boucan d'enfer » est autant de baume lui permettant de se sentir un peu mieux, de lâcher la dive bouteille pour monter sur scène et retrouver ce public dont il se sent si proche et qui le lui rend bien. Car Renaud, c'est avant tout un tendre, un timide, un hypersensible, un attentionné. Quand on lui remet des Victoires de la musique, il est réellement ému, presque étonné qu'on l'aime encore, lui qui a déjà traité de blaireaux la moitié de la terre. Il est comme ça Renaud, vivant avec ses contradictions, les assumant et ne demandant finalement qu'à être aimé. Comme tous les artistes, les vrais.

Quelques dates

1952.
Naissance, le 11 mai, à Paris, dans le quatorzième arrondissement.

1973.
La manche sur les trottoirs et le métro, la chanson aux lèvres et l'accordéon en bandoulière. Rencontre avec la bande du Café de la gare, dont son pote Coluche.

1975.
Premier album, « Amoureux de Paname ».

1986.
« Mistral gagnant » se vend à un million et demi d'exemplaires.

1988.
« Tonton, laisse pas béton », lance-t-il à Mitterrand qui n'a pas encore annoncé sa candidature à la présidentielle.

2002.
Sortie de « Boucan d'enfer ».

Thierry Coljon

Aucun commentaire

Soyez le premier à commenter !


(ne sera pas publié)