EntrevuesÉmissions Nouvel Observateur, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 11 octobre 2002.

« Chanter la vie » : Le roman de Renaud

> Le Nouvel Observateur de 2002

Divertissement :« Chanter la vie ». Renaud et son double Mister Renard, sont de retour, après sept ans de silence, avec peut-être son plus bel album. Le « chanteur énervant » est aujourd’hui sur le plateau de Pascal Sevran.

Le roman de Renaud

Un nouvel album de Renaud est toujours un événement; et celui-ci, « Boucan d’enfer », l’est d’autant plus qu’après sept années de quasi-absence médiatique, la plupart des fidèles du « chanteur énervant » avaient fini par croire que ce dernier avait définitivement sombré dans le chagrin, l’alcool, la solitude et le silence. Autant de sujets qu’il n’est pas indispensable d’évoquer puisque Renaud lui-même n’en fait aucun mystère ; au point d’y avoir puisé la matière essentielle de la plupart des chansons de son nouveau CD.

Dès la première « Docteur Renaud, Mister Renard », le bilan s’inscrit à l’encre noire, à la manière d’un Gainsbourg se jouant de Gainsbarre. Non sans un certain masochisme, Renaud choisit de ne rien occulter de sa débâcle sentimentale, marquée par la rupture d’avec Dominique, sa compagne (« Aujourd’hui, son amour se barre/Son bel amour, sa Domino/Elle quitte le vilain Renaud… ») ; de la longue descente aux enfers qui s’ensuivit (« Le Renaud ne boit que de l’eau/Le Renard carbure au Ricard… ») ; ni de ses douloureuses années de doute où l’inspiration n’était plus au rendez-vous : « J’ai arrêté un jour d’exercer mon boulot (…)/J’ai rangé ma guitare et coupé mon micro/Arrêté la musique et arrêté les mots (…) Mais jamais je n’arrêt’rai de t’aimer… »


On le voit, il s’en est fallu de bien peu pour que Renaud jette à jamais l’éponge, pour se contenter de refaire le monde avec deux ou trois potes, dans la tiédeur feutrée de son bar favori : « Pour vivre heureux, je vis caché/Au fond de mon bistrot, peinard, Taciturne, désabusé/Loin de ce monde de barbares… »


D’ailleurs si son histoire personnelle hante toutes les chansons de l’album, la notion de bistrot-refuge se retrouve dans plusieurs d’entre elles. Y compris, au final, dans une vision idéalisée du havre salvateur pour « Soirs de déprime ». Sur un swing léger, qui n’est pas sans rappeler Trenet, « Mon bistrot préféré » convoque ainsi, autour du verre de l’amitié, les principaux piliers du panthéon personnel de Renaud, de Brassens à René Fallet, en passant par Coluche, Gainsbourg, Doisneau, Desproges, Reiser, Tonton, Bruant, Brel, Ferré, Frédéric Dard, Boby Lapointe, et bien d‘autres. Un bistrot où, entre deux considérations sur la pêche à la mouche, la peinture, la chansonnette, la littérature, le vin, les femmes et les copains, on parle également de suicide : « La mort est quelquefois tout un art de vivre… »

Suicide… Un mot qui fut employé en son temps pour qualifier l’attitude de Renaud – suicide médiatique – lorsqu’il refusa catégoriquement de faire la moindre promotion à l’occasion de la sortie de son album « Putain de camion », dédié à la mémoire de son copain Coluche, quelques mois après son accident mortel, Renaud était alors au sommet de sa popularité, après deux albums (« Morgane de toi » et « Mistral gagnant ») qui avaient largement dépassé le million d’exemplaires vendus. Aucune interview, aucune émission de télévision : une intransigeance dont personne n’avait jamais osé faire preuve, et que d’aucuns s’employèrent à lui faire payer au prix fort. Aujourd’hui, c’est en convalescent que Renaud revient, avec pour seules munitions un album vraiment magnifique (l’un des plus beaux qu’il ait fait, son plus personnel en tout cas) et la confiance jamais perdue d’un public auquel son silence pesait comme l’absence d’un ami .

TéléObs.Par rapport aux médias, est-ce que tu campes toujours sur tes positions de l’époque de « Putain de camion » ?

Renaud. – C’est-à-dire les boycotter totalement ? Non ! Même si je ne fais que très peu de choses… en essayant d’être le plus sélectif possible. Avant « Putain de camion », je faisais tout ce qu’on me proposait ; aujourd’hui, je fais plus attention. J’y vais sur la pointe des pieds. Mais le fait de me remettre à travailler m’a fait le plus grand bien. D’avoir fini mon disque… de savoir qu’il va exister… qu’il va falloir que je le défende… tout ça me redonne le moral. Déjà d’avoir arrêté de boire m’a redonné le physique ; et, pour moi, la condition sine qua non pour être bien moralement, c’est déjà d’être bien physiquement.

TéléObs. – Entre Pascal Sevran et toi, il y a une sorte de fidélité réciproque. Il t ‘a toujours invité » et tu as toujours répondu présent.

Renaud. – Oui, car je n’ai jamais trouvé ses émissions indignes, même si elles sont parfois un peu kitsch, un peu vieillottes… C’est un type qui aime la chanson, qui aime les artistes, et chez qui on peut s’exprimer et chanter trois ou quatre chansons en direct… Il y en a de moins en moins des émissions où l’on peut chanter ainsi, en direct. Aujourd’hui, il n’y a plus que des plateaux où l’on déconne.

Propos recueillis par Marc Robine

Aucun commentaire

Soyez le premier à commenter !


(ne sera pas publié)