Émissions L'Humanité, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 16 janvier 2003.

Mister Renaud, Autoportrait sans mystère

> l'Humanité du 14 Décembre 2002

Mister Renaud, Autoportrait sans mystère

Renaud jette un regard mi-tendre, mi-ironique, sur son parcours. Un grand moment.
Renaud, le rouge et le noir. France 3, 20 h 55.
Renaud a accepté de raconter trente ans de carrière, trente ans de sa vie, ses coups de gueule, ses coups de génie, et ses coups de spleen. Une vie d'espoirs et de désillusions à siroter entre amis. Et à chantonner.

Renaud est tout seul au milieu d'une pièce. Un peu tendu, un peu méfiant, au départ. Avec sa mèche blonde, toujours rebelle, et ce regard bleu de gamin blessé. Sur sa gauche, défilent des images. Des films en super huit, tournés par son père, des archives de la Sorbonne occupée en 1968, ses premières interviews télévisées, sa révolte permanente courent sur l'écran. Renaud commente, parfois amusé, parfois agacé par l'image que lui renvoie le poste. Sans détours, mais avec énormément de pudeur, il raconte ses joies et ses peines, ses moments de grâce et ses failles. Ses silences et ses yeux en disent parfois long, sur une blessure cachée d'un coup dévoilée. Cet autoportrait, qui s'inscrit dans la même collection que celui de France Gall, l'an dernier (rediffusé début décembre), est tout simplement un grand moment de télévision. En chansons, évidemment.

Didier Varrod, le réalisateur, ce " capteur de confidences ", connaît le chanteur depuis longtemps. " Depuis une vingtaine d'années, j'ai régulièrement rendez-vous avec Renaud à chaque sortie d'un nouvel album et pour l'aventure scénique qui l'accompagne. Il y a entre nous, depuis ce temps, une relation de confiance, de respect, sans pour autant que je fasse partie des intimes du chanteur. Et c'est mieux ainsi. C'est ce qui fait que ce film existe aujourd'hui ", confie-t-il. Un film que le réalisateur estimait nécessaire. " C'est bien parce que les chansons de Renaud valent tous les cours d'instruction civique que son itinéraire se confond bien souvent avec l'histoire d'une génération née sur les barricades en 1968, qui d'utopies en engagements successifs et bien réels va peu à peu souffrir d'avoir à vivre des renoncements. C'est aussi ce que raconte ce document. Un film qui aurait pu s'intituler une histoire de France. " D'autant, justement, que la vie privée vient se mêler, toujours, aux idéaux, dans le parcours du " chanteur énervant ". Ce qui n'en finit pas d'étonner Didier Varrod. Il taxe son dernier disque, Boucan d'enfer, de " thérapie discographique ". " Dans cette année 2002 où notre pays a vécu bien des soubresauts, Renaud est revenu avec un disque presque " dégagé " de la vie sociale et politique. L'un des témoins les plus féroces et les plus combatifs de ces trois dernières décennies signe, avec ce dernier album d'une intimité bouleversante, le plus gros succès de sa carrière. Comme si, au-delà de l'émotion naturelle suscitée par la confession, les ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? ? (sic) voulaient aussi sacrer l'homme d'un parcours. "

Et lui, Renaud, qu'en pense-t-il, de ce petit jeu avec la caméra ? Il s'y prête avec retenue, mais sans complaisance vis-à-vis de lui-même. Ça commence par des mots assassins, lâchés avec rudesse : " On ne va pas faire pleurer sur le malheureux destin d'un alcoolique anonyme. " Ça continue avec une nostalgie de l'enfance, cette période " douce comme le miel ". Entre son père enseignant et originaire du Sud, une mère ouvrière à la mine dans le Nord. Ses racines, quoi : " Le Nord et le Sud, le pastis et la bière, le socialisme bon teint et le socialisme rouge. " Il dévoile ses premières révoltes, sa passion pour le théâtre, ses débuts avec Coluche, Dewaere, ses amis partis. Il raconte son premier " tube ", sur les bancs de la Sorbonne en ébullition, la révolte d'un fils contre son père petit-bourgeois, avec des mots plutôt rudes pour le paternel. Renaud fait la grimace en se remémorant les paroles. Il raconte la rencontre avec la femme de sa vie, " sa gonzesse ", Dominique. Sa surprise d'avoir une petite fille. Sa joie, aussi, et sa révolte au fil des ans. Il raconte aussi son hypocondrie permanente, sa traversée du désert, sa dépression. " Dans le dernier album, pas besoin de lire entre les lignes pour savoir que ma femme est partie. Elle a été émue par mes textes, mais elle a trouvé injuste que j'ai des milliers d'épaules pour pleurer. " Et pour continuer de vivre dans ses souvenirs et sa détresse. Allez, Renaud, tu le sais bien, toi, que " la souffrance, c'est très rassurant, ça n'arrive qu'aux vivants "...

Caroline Constant

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