Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 18 juin 2001.

envoyé spécial chez moi - A qui la honte ?

> Charlie-Hebdo du 19 novembre 1995

Chronique de RENAUD après son concert à Toulon

A qui la honte ?

F comme fasciste ! N comme nazi ! A bas le Front national ! c'est par ces mots scandés par un chœur de trois mille bouches que le concert a débuté. C'est aussi par ces mots qu'il s'est conclu. Rien que pour ça je ne regretterai jamais cette décision (controversée) de ne pas boycotter Toulon. Dans les jours qui avaient précédé votre venue à Facholand, un léger sentiment de paranoïa s'était installé : les menaces contre l'équipe de Charlie, la réponse de la mairie à la demande de protection de Philippe Val, le chantage de la municipalité menaçant d'interdire le concert si des caméras de télévision couvraient l'événement et lui donnaient un aspect politique (!), avaient réussi à créer une semi-psychose parmi mon équipe finalement, les seules gros bras à nuque résée et regard patibulaire susceptibles de nous chercher des pox dans la tête avaient été embauchés pas le Zénith pour assurer le bon déroulement du concert. Situation légèrement paradoxale mais bon... Il fut rassurant de constater qu'à Toulon (comme ailleurs je l'espère) le F.N n'a aucune capacité de mobilisation, que lorsqu'une poignée de citoyens déterminés vient regagner le terrain conquis par les idées du gros borgne l'électeur F.N moyen reste devant sa télé -devinez quelle chaine- et le militant pur et dur devant son crucifix à astiquet sa batte de base-ball.

Le spectacle démarra sur les chapeaux de roue avec les potes de "Blue Jean Society" (qui finiront bien un de ces quatre par adopter un nom de groupe moins nunuche), les mômes, un peu inquiets d'essuyer les plâtres dans cette salle où, selon la rumeur, la centaine de places attribuées contractuellement par le Zénith à la municipalité avaient été distribuées à des provocateurs F.N, ont fait un véritable tabac. Pas un boulon, pas un sifflet, que de l'amour, que de la joie, des bravos. Moi j'ai fait sensiblement le même spectacle que la veille, le même que le lendemain, sauf que j'ai exprimé en arrivant mon désaccord avec les artistes qui ne viennent pas ici à cause des 30 % de Toulonnais qui ont "mal voté", et j'ai expliqué que je venais pour les 70 % qui avaient "bien voté". J'ai juste oublié de préciser que "bien voté", vu le choix qu'on a généralement, c'est une façon de parler, et que dans le Var, plus précisément, c'est une expression un peu surréaliste...

Philippe Val m'a rejoint au milieu de mon tour de chant, on a balancé en duo sa version d'hexagone, puis il nous a poussé quelques chansons en solo, ce qui a fini de mettre le feu à la salle. A la fin du spectacle, toute l'équipe du journal est venue sur scène se faire ovationner, les dessinateurs ayant passé la soirée à réliser de chouettes dessins diffusés simultanément sur deux écrans géants de part et d'autre de la scène.

Au début du concert, lorsque j'ai évoqué la mairie aux mains du F.N, une gamine au premier rang m'a crié : "on a honte !" faut pas, ma belle, c'est le F.N à la mairie la honte, c'est le racisme qui est honteux, c'est l'extrême droite a prospété, laisse-la aux habiles manœuvriers élyséens qui, pour diviser la droite, ont favorisé la montée du F.N, laisse-la majorité actuelle qui, pour récupérer l'electorat de Le Pen, met en pratique sa politique dégueulasse, laisse-la aux médias qui, pour faire de l'audience (donc du pognon en espaces publicitaires), ont déroulé un tapis rouge au F.N et à son leader.

Jeudi dernier, au Zénith de Toulon, ton petit poing levé au milieu des miliers d'autres, ça ressemblait au contraire à de la dignité.

RENAUD

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