Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 4 février 2002.

Chronique Montréalaise

> Charlie Hebdo n°4 - 22 juillet 1992

Chronique Montréalaise

Ce voyage avait très mal commencé. Sur Air Canada, c'est non-fumeurs intégral. Même les longs courriers. Paris-Montréal, sept heures de vol sans nicotine ! J'étais prêt à faire sauter l'avion, à porter plainte auprès de la Convention européenne des droits de l'homme qui fume et du chien qui pèle, quand une hôtesse, à l'embarquement, m'a suggéré de faire comme le personnel navigant lorsqu'il craque en vol. Tirer sur mon clope dans les toilettes, en crachant la fumée à travers une serviette mouillée. J'ai essayé, ça craint. Esthétiquement surtout. Debout dans un placard à balais en inox, un Sopalin humide sur la bouche, le clope au creux de la main, la main dans la cuvette des chiottes, t'as l'air con. J'ai fini par bouffer le Sopalin, c'est, finalement, pas beaucoup plus dégueulasse qu'une Rothmans extra-light.

Puis je suis arrivé à Montréal, chef-lieu du Québec, pour apprendre que, depuis mon dernier séjour ici, ce beau pays, qui n'est pas un pays, c'est l'hiver, avait été doublement frappé, par la récession économique d'abord, puis par la Bruelmania. J'ai failli rentrer chez nous. Mais mon devoir m'appelait ici.

On m'avait invité à venir fêter le 350° anniversaire de Montréal, ville dont J'étais un peu le prince puisqu'y possédant une gentille chaumière pas dégueu avec un bout de jardin comme France Gall qui en a une aussi (de chaumière) et un tuyau d'arrosage comme Michel Berger qui en a un aussi, mais plus long. J'aimais beaucoup Montréal et Montréal m'aimait beaucoup aussi. Une belle ville en vérité, peuplée de sympathiques bûcherons un peu américains mais pas vulgaires, parlant un Français un peu bizarre mais finalement pas beaucoup plus incompréhensible qu'un article de Bayon dans Libé par exemple. Il a plu à boire debout pendant huit jours. On a fêté quand même. Un soir, avec un ami chanteur français dont je tairai le nom car lui non plus sa femme n'était pas là, avec Julien Clerc, donc, nous sommes allés boire un Perrier-rondelle dans un resto sympa où y'avait pas à manger, de la musique très fort et des gens qui dansaient, mais non, chérie, si tu lis ces lignes, c'était pas une boîte, pi de toute façon y'avait quasiment pas de filles, et elles étaient moches, surtout celle à Julien. A côté de cet endroit question ambiance, les Bains-douches m'ont fait penser au crématorium du Père-Lachaise. La musique (sic) rappelait étrangement les nuits chaudes de Bagdad de janvier 91 et les lumières aussi un peu. les cadavres, par contre, remuaient encore beaucoup.

J'avais dit à Julien : le premier mec qui me prend la tête j'y fous un coup d'boule et j'm'arrache. Y'a un Noir de trois mètres avec un tee-shirt « Malcom X » qu'est venu me serrer la louche en m'disant : « J'aime bien les tounes ! A sont belles en tabarnak ! Câlisse ! Lâche pas ! » J'étais à deux doigts de l'allumer mais il m'a tourné le dos, a réajusté ses bas résille et son string-léopard et est retourné danser (sic) avec les autres trucs. J'ai attendu les slows, on m'a dit que d'ici le 700" anniversaire y'avait rien de prévu. Alors on s'est cassés. Le videur, à l'entrée, un Noir aussi, le grand frère de l'autre, m'a fait un sourire très gentil, genre brûlure, J'étais pas mécontent de choper tout de suite un taxi.

Le chauffeur était indien, de la tribu des Mohawks. Il nous a vendu des Marlboro de contrebande parce qu'au Québec on trouve pas de ce cancer-là. Je sais pas pourquoi. Une histoire de monopole détenu par une autre marque d'infarctus, Je crois. Je lui ai dit que j'aimais beaucoup les Indiens. Pas seulement pour les dopes, surtout pour leur sens développé de l'hospitalité qui les fit s'installer dans des réserves, des prisons, des cimetières, pour laisser leur beau pays aux envahisseurs, pardon, aux immigrants. Ceux-ci, justice leur soit rendue, n'apportèrent pas que les pluies acides, la Police montée, les centrales nucléaires et les MacDonald's à la civilisation qui vivait si mal sans. Ils ont aussi inventé Céline Dion. Une chanteuse très populaire ici, à côté de laquelle Jeanne Mass passerait pour un prix Nobel de philosophie, et, soyons honnête, bon nombre de nos chanteuses pour des choristes de baloche. Cette petite Dion, donc, déclarait récemment dans la presse que si le Québec devait, constitutionnellement, se séparer du Canada, ce serait un grand malheur pour son pays. (Je leur ai bien conseillé de se séparer de Céline Dion, mais ça les a pas fait marrer...) La pauvre s'est fait engueuler par la nation entière. Indiens compris, et même par sa mère qui a exigé d'elle qu'elle présente des excuses publiques, la Petite Chose a dû retourner devant les micros pour s'excuser en fait d'avoir dit ce qu'elle pensait. Fait pas bon, ici non plus, d'être sincère avec les Journaleux et de pas adhérer au consensus. D'autant que, le plus étrange, c'est que ses sentiments ne sont pas loin d'être partagés par bon nombre, même chez les indépendantistes. Mais, le malheur, on s'en fout, du moment qu'on est chez nous, nos idées de peuple, de langue, de terre, de frontières, de patrie, plantées bien profond dans le béton de nos certitudes, plantées comme la hampe d'un drapeau, comme un totem indien, comme un mirador, n'importe où.

Je suis rentré à mon hôtel, chambre 2916, vingt-neuvième étage, vue sur le port, où, il y a 350 ans. Samuel de Champlain débarquait pour fonder Montréal alors qu'il aurait pu fonder, je sais pas, moi, une famille, comme tout le monde. Aujourd'hui, c'est un pays où on ne trouve même pas Charlie Hebdo dans les kiosques et où Bruel est très célèbre. Ça valait bien la peine d'aller si loin... C'est pas un pays, je vous dis, c'est l'hiver !

RENAUD

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