Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 10 janvier 2001.

CANDIDE, BY VOLTAIRE

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Charlie Hebdo, le 15 décembre 1993

 

« Renaud bille en tête

« CANDIDE », BY VOLTAIRE

Plutôt mort que Jean-Jacques Goldman

 

S’appelle Yacov. Il revient de Sarajevo et il y retourne bientôt. Il y convoie par camion des vivres et les livres. Extraits d’une longue lettre qu’il m’a envoyée au journal…

« […]Le Serbe qui contrôlait mon véhicule avait la dégaine et le masque plutôt durs, content de lui et de ses potes. Et puis je le vois se baisser pour inspecter mon paquet de bouquins, sur la chaussée, là, avec les mines pas loin. D’une main lente, hésitante. Il venait de m’expliquer qu’il avait tué quatre types cette année. Dont deux moudjahidin, venus d’ailleurs. Il racontait le corps du gars, dans le soleil, comment il était habillé, et puis les lettres d’amour dans sa poche, d’une fille à Paris. Ca devait être un Algérien, il a dit. Pas un Afghan. Il parlait de ça, intrigué, comme quoi ces lettres, qu’est-ce que tu veux qu’on en fasse… La fille aura jamais su qu’elles sont tombées dans ses mains à lui, ni où.

Mais là, la main qui a tué quatre types, comme ça, elle ralentit de plus en plus et quelque chose se passe qui secoue le gars de bas en haut. Au bout d’un moment il a tourné un livre entre ses mains, longuement, comme amoureusement, et il me demande d’une voix basse, la tête baissée, si je voudrais bien lui donner. Une immense faveur. Pour se justifier, il chuchote : « avant ça, j’étais professeur, avant cette guerre, de philosophie… ». Il s’appelle Neno.

Voilà, je pleure en pensent à lui. Tu pleures, c’est pas possible… Tu comprends, cette guerre, elle est faite par des profs de philo aussi, et Karadzic est poète en plus de psychiatre… Neno le Serbe, c’est un gars que j’attends de revoir (le livre, c’était « Candide » de Voltaire, en anglais). Lui aussi, il m’a dit « when you get back… ». Comme Zvonco, le Croate de Kiseljak, qui partait au front le matin, si las, si à bout, avec son fils de huit ans qui a perdu ses cheveux et qui l’attend anxieusement jusqu’au soir.[…] »

 

Sans arme, B.H.L fait peur, alors, armé…

 

Eh ouais… Il serait plus rassurant de se bercer de l’illusion que ces mercenaires, ces militaires, ces civils armés, dans toutes les guerres, sous toutes les latitudes, de Beyrouth à Kaboul et de Mogadiscio à Mostar soient, dans le pire des cas, des tueurs professionnels, dans le meilleur, de simples troufions assoiffés de combats, de haine et de sang. Beaucoup plus inquiétant d’admettre que beaucoup, voire le plus grand nombre d’entre eux, sont des citoyens ordinaires, des boulangers, des menuisiers, des instituteurs, des intellectuels, des manuels, des chômeurs ET des profs de philo.

Pour émouvant que soit ce témoignage, pour courageuse que soit la démarche de Yacov, y a pas à tortiller, j’ai du mal à éprouver une quelconque compassion pour les profs de philo de Serbie, de Croatie ou de Pétaouchnnock quand ils portent un treillis militaire et une Kalachnikov en bandoulière.

J’aime pas les armes. Mais alors, pas du tout ! Peut-être, me direz-vous, est-ce parce qu’inconsciemment j’éprouve une attirance, une trouble fascination pour elles, parce qu’elles prolongent la main d’un appendice métallique qui donne un sentiment de puissance (sexuelle ?) qui doit envoûter 90 % des mecs… Toujours est-il qu’à part les cannes à pêche et les stylos à bille, les armes, c’est pas mon truc.

N’empêche que, foutez-moi une bonne vieille guerre civile et une Kalachnikov dans les pognes, je suis quasiment sûr que je pourrais tirer. Sur des hommes, s’ils sont soldats « en face » et qu’ils veulent ma peau, sur des civils peut-être aussi si j’ai très peur, voire sur des femmes et des enfants si les miens viennent de se faire purifier ethniquement au lance-flammes.

Je vous choque ? Allons… Réfléchissez bien honnêtement… Est-ce vraiment la barbarie, le goût du sang et le désir de violence qui poussent les hommes a priori sages à faire la guerre ? Notre prof de philo était probablement non violent, humaniste, pacifiste. C'est le port du treillis et surtout du flingue qui en a fait un tueur. Je sais pas si c’est bandant de tenir dans ses mains un phallus en acier qui crache la mort à chaque giclée, je suis sûr, en revanche, qu’on y prend très vite goût…

 

Même pour ses droits d’auteur, Renaud ne prendra pas les armes

 

Où je veux en venir ? Pas loin. Juste expliquer que même si mon pays, ma ville, ma rue, ma maison sont attaqués demain par une quelconque armée d’exterminateurs barbares, le mec qui me verra endosser un uniforme ou porter un flingue pour les défendre il est pas encore né. D’autant qu’il s’agira probablement d’aller avant tout au casse-pipe pour les intérêts (et par la faute) de dirigeants, de politiciens et de marchands de canons dont la maison, la famille et la peau seront, elles, épargnées. Non, même la plus belle, la plus juste des guerres de libération n’arrivera pas à me convaincre d’accepter de porter une arme. Parce que je préfère mourir en victime ou vivre en déserteur que devenir comme ce prof de philo. Et si mes amis n’ont pas la même sagesse, s’ils préfèrent tuer pour ne pas être tués, qu’ils ne s’étonnent pas aujourd’hui de vivre dans un monde en guerre éternelle.

J’imagine que vous aller vous insurger dans vos lettres énervées et énervantes (renoncez…) : « Et si les nazis revenaient ? Et si t’avais eu vingt ans à Santiago en 1973 ? » etc. Paul Nizan ou Victor Jara ne vous semblent-ils pas aussi  courageux et aussi indispensables que Jean Moulin et Che Guevara ? Pour une fin de toute façon identique…

RENAUD

 

P.-S. Je viens d’acheter le dernier Goldman. Dans les pages du livret, à propos de la chanson Frères, il écrit :

« Ces frères-là, aujourd’hui, sont évidemment bosniaques et serbes. Je ne dis pas qu’ils ont tort de se combattre. Il y a malheureusement des situations qui n’avancent que dans la confrontation. Des situations où, parfois, il faut lui en mettre une entre les deux yeux (sic). »

Bon… Ca en fait déjà un qui va pas être d’accord avec ma chronique. Va p’t’être y avoir confrontation… Va p’t’être m’en coller une entre les deux yeux. A moins qu’il ne lise Candide de Voltaire avant qu’il ne soit trop tard… »

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