Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 10 janvier 2002.

Un petit coin de parapluie...

> Charlie-hebdo N°185 - 03 janvier 1996

Un petit coin de parapluie… C'est pas l'homme qui prend la mer, c'est mes pompes qui prennent l'eau.

JE SUIS BIEN UN DÉGUEULASSE. Ça fait au moins trois jours que j'ai pas pensé à la Tchétchénie. Ni au Ruanda, ni à Sarajevo, pas même à Marc Blondel. Je suis en vacances quelques jours, vous m'excuserez, je décompresse. L'actualité du monde, les drames, la misère, l'injustice, la mort, je m'en tamponne. Je suis peinard, les journaux sont en italien et j'ai pas la télé. Je fais comme si y'avait plus de guerres, plus de saloperies, plus de souffrance. Je sais bien que c'est pas vrai mais de temps en temps ça fait du bien.

Pis j'ai assez de soucis, comme ça...

Bienheureux ceux qui sont partis en vacances à la neige, moi je suis parti en vacances à la pluie. Veinards. ceux qui sont aux sports d'hiver, je suis aux sports d'automne. Trois jours dans le Vaucluse, trois jours sous des trombes d'eau, trois jours en Toscane, trois jours de déluge. Et les nuits pareil. Des gouttes grosses et longues comme des baguettes de tambour. Hier, après quelques heures à déambuler, trempés jusqu'à la moelle, d'un musée à l'autre dans les rues de Florence, ma femme a pris une grande décision : « Je vais m'acheter un parapluie ! » Bien que je trouvasse cette initiative particulièrement ridicule, je lui fis part de mon assentiment, on ne contrarie pas une femme mouillée.

« C'est une excellente idée, ma chérie. Nous aurions pu y penser plus tôt... » Ma femme achète plus souvent des sacs ou des chaussures, aussi le choix du parapluie fut-il difficile. Nous étions dans un petit marché en plein air, bordé de centaines d'échoppes à touristes, les mêmes que partout ailleurs dans le monde, auvents en toile, piles de tee-shirts, vêtements de cuir, maroquinerie bidon, maillots de football, tee-shirts du Che, casquettes de rappeurs ET parapluies. Après une demi-douzaine de bouclards, ma femme tomba sur LA merveille : « Regarde celui-là, il est beau, non ? — Il est magnifique, ma chérie. Les autres aussi, mais celui-là, de mémoire de pluie je crois pas en avoir jamais rencontré d'aussi beau... » C'était un parapluie comme j'ai jamais rien vu de plus banal, noir, avec un manche et une pointe en bois marron, un parapluie à quinze mille lires, ce qui nous fait environ cinquante balles, ce qui n'est pas cher payé pour pas prendre l'eau quand t'es trempé, mais il plaisait à ma femme et ma femme me plaît à moi, alors bon...

« Lolita, Renaud ! Venez vous abritez sous mon parapluie ! » nous a crié Dominique après qu'elle l'eut ouvert.

« Ben vas-y, Lolita... Moi je déteste marcher à deux sous un parapluie.

« Ah, moi aussi », elle m'a dit, se bouscule, on sait jamais comment positionner le bras qui tient la poignée et, finalement, on est deux à être mouillés ! »

C’est marrant comme pour certains trucs ma fille est exactement comme moi, ça doit être dans les gènes. « Pourquoi tu t'es pas acheté un parapluie, mon papa ? T'es tout mouillé... » Je lui ai expliqué que j'avais jamais acheté de parapluie de ma vie, que j'avais plus l'âge de m'y mettre, et que je trouvais, par ailleurs, cet ustensile aussi grotesque qu'une robe de chambre ou une paire de pantoufles. « Et puis je préfère être trempé sous la pluie qu'humide sous une corolle de nylon. »

On a continué à marcher, j'avais l'impression d'avoir enfilé des éponges à la place de mes pompes, la flotte dégoulinait de mes cheveux à ma nuque et de ma nuque à partout, mais dans ma tête je gambergeais : « Cinquante balles un parapluie ? Putain, je devrais en acheter plus souvent, c'est pas cher, hé! »

Vers le soir, ma famille a failli me perdre parce que je traînais derrière. Je les ai rejointes en courant, fier comme un coq, heureux comme un pape, j'avais craqué. « Ben ? T'es fou ? Tu t'es acheté un parapluie ! Je croyais que tu trouvais ça nul ? » m'a dit ma fille. « C'est peut-être nul, mais le mien y s'ouvre tout seul quand t'appuies sur un bouton, il est aussi beau que celui de maman et je l'ai payé que dix mille lires ! Trente balles ! »

Je me sentais heureux comme un môme qui vient de recevoir sa première montre Kelton pour sa première communion. Heureux pendant au moins cinq minutes. Jusqu'à ce que ma femme me fasse remarquer qu'il ne pleuvait plus.

RENAUD

Aucun commentaire

Soyez le premier à commenter !


(ne sera pas publié)