Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 10 janvier 2001.

LE RETOUR DES VIEUX CLIVAGES

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Charlie Hebdo, le 26 mai 1993

 

« Renaud bille en tête

LE RETOUR DES VIEUX CLIVAGES

De notre envoyé spécial boulevard Saint-Germain

 

Mon rédacteur en chef devait dîner en ville avec Dominique Voynet dimanche soir, il m’a proposé de venir aussi. Ca tombait bien, j’avis les crocs, et chez moi ma femme avait prévu une soupe de légumes. « On n’a qu’à se retrouver chez Lipp à 8 heures » m’avait dit Val.

La première et seule fois où j’avais mis les pieds dans cette célébrissime brasserie parisienne, c’était il y a presque un an, déjà à l’invitation de Charlie Hebdo, et au cours du repas Val m’avait expliqué que, mes toutes premières chroniques lui ayant bien plu, il aimerait bien que je continue à écrire au moins jusqu’à la fin de l’été. De l’été 92… J’avais dit O.K. J’allais donc profiter de dîner ce soir pour lui dire que « maintenant, ça suffit comme ça ! On est au numéro 48, au 52 ça fera un an tout rond, j’arrête ! »

A 8 heures, y z-étaient pas là. Je me suis assis dans un coin, juste en face de Jean-Edern Hallier, qui m’a pas vu, ouf ! Depuis que ce monsieur fréquente l’assassin Bernard Pons, je ne souhaite plus qu’il m’adresse la parole, et pi c’est tout ! Il distribuait généreusement à tous les clients le nouveau numéro de son journal l’Idiot International, lesquels clients manifestaient en retour par force courbettes et sourires le mépris qu’ils devaient probablement lui porter, ces enculés désespérant d’avoir jamais autant de talent d’écrivain que lui… Pauvre Jean-Edern, je me souviendrai toujours lorsque, pendant la guerre du Golfe, voulant manifester sa solidarité avec le peuple palestinien, il entra chez Lipp la tête couverte d’un keffieh. « Tu le croiras pas, Renaud, tout le monde m’a applaudi ! » m’avait-il raconté, heureux comme un môme. Tu m’étonnes ! L’idiot national avait choisi un keffieh rouge à serre-tête noir, comme en portent les émirs koweïtiens !

Y’avait une table libre à côté de la mienne, Jean-François Deniau est venu s’y asseoir. Je lui ai dit que je l’aimais bien. « Bien que nous ne soyons pas, comme on dit, du même bord…, eus-je besoin de préciser.

-         Oh, vous savez, ces « clivages » ne veulent plus dire grand-chose, de nos jours… » me dit-il.

Je m’apprêtait à le contredire lorsque Cabu arriva, Val vint et Voynet venat. On bougea les chaises, je me retrouvait à côté de Voynet tandis que Val me piquait mon nouveau copain Deniau avec lequel il tchatcha pendant tout le repas.

-         Tiens ? Vous n’êtes plus blonde ? m’étonnais-je

-         Tiens ? Vous non plus ? s’étonna Voynet

Après nous parlâmes politique et je compris tout. Moi je voulais surtout savoir pourquoi les Verts maintenaient ce mot d’ordre à la con, « Ni à droite, ni à gauche » (inventé probablement par un mec de droite), et dont, à mon sens, l’ambiguïté et le manque de clarté leur avait valu la tripotée que l’on sait aux dernières législatives. « A vouloir à tout prix plaire à tout le monde, vous n’allez plus plaire à personne…, philosophai-je.

-         Oh, vous savez, ces « clivages » ne veulent plus dire grand-chose, de nos jours » commença t-elle.

Je m’apprêtais à la contredire lorsque B.-H.L. passa devant notre table. Il me gratifia d’un regard aussi tendre qu’une division de blindés, échangea trois mots (sublimes, forcément sublimes) avec Marek Halter et Luc Ferry, qui refaisaient le tiers-monde près de la porte, et s’en fut, accompagné d’une assez jolie gonzesse qui n’était pas Arielle mais qui avait de gros nichons quand même.

Cabu finissait de croquer Deniau sous la table (je veux dire par là que, un carnet de croquis sur les genoux, il en faisait la caricature, vous aviez compris…) et Val réussissait à lui refourguer Charlie Hebdo. Moi, dans mon coin, je me demandais quand j’allais pouvoir annoncer ma démission à mon rédac’chef. Après tout, i avait qu’à demander une chronique hebdomadaire à son nouveau pote : « Deniau bille en tête », ça sonne pas mal, non ?

Je sens que ça vous plaît pas, mais c’est parce que vous vous arrêtez à de vieux clivages…

RENAUD »

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