Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 6 mai 2000.

LE BASQUE, PURIFICATEUR ETHNIQUE Contre le nationalisme, Renaud porte le béret basque

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Charlie Hebdo, le 19.06.96

LE BASQUE, PURIFICATEUR ETHNIQUE

Contre le nationalisme, Renaud porte le béret basque

Je m’excuse de revenir là-dessus mais je trouve un peu dégueu que les récentes expulsions de réfugiés politiques basques vers l’Espagne n’aient pas suscité sous la plume de mes amis de Charlie quelques propos énervés. Je sais bien que la « cause » basque, pour son fond de nationalisme, n’est guère populaire ici, mais moi, perso, j’ai du mal à rejeter les individus victimes de l’Etat policier sous prétexte que je n’adhère pas totalement à leurs convictions (ce qui, d’ailleurs, reste à prouver…). S’il fallait demander un certificat de bonne conduite, de bonne moralité, de comportement « politiquement correct » à tous les opprimés, les massacrés, les génocidés de l’histoire, j’ai peur que nous n’ayons bientôt plus grand monde à défendre… « Je vais pas pleurer sur le sort de ces moines trappistes décapités, ils étaient croyants, moi non ! » Tu vois le genre ?

Bon, et pis d’abord, est ce que « nationalisme » ça veut forcément dire réac, facho, raciste, beauf, haineux, de droite et j’en passe ? Me semble qu’on est quelques-uns à Charlie (pas tous…) à soutenir une armée zapatiste de libération nationale, que le FLN algérien qui luttait contre le colonialisme français fut soutenu par la gauche comme le sont d’une manière générale tous les mouvements de libération nationale, que l’on s’accommode assez facilement d’un nationalisme qui fédère les opposants à l’occupation militaire, à l’oppression, voire à l’impérialisme économique et culturel d’un peuple au détriment d’un autre, que l’on aurait beau jeu de reprocher aux Tibétains d’être nationalistes, aux Kurdes, aux Kanaks, aux Palestiniens, comme l’étaient hier dans l’Europe occupée les résistants au nazisme. « Oui mais c’est pas pareil ! me dit-on. Quand le nationalisme est lié à une lutte de libération territoriale il est compréhensible, plus du tout lorsqu’il est une fin en soi ! » Bon… Je n’ai jamais remarqué que le Pays basque français souhaitait ses frontières, sa monnaie, son armée, son économie propre, sa langue à l’exclusion de toute autre, qu’il envisageait de chasser les immigrés, qu’il prônait la « préférence nationale » ou l’épuration ethnique contre les non-Basques… Je ne suis pas assez malin pour vous dire si le peuple basque, des deux côtés des Pyrénées, a tort ou raison de se vouloir « nation historiquement une et indivisible », je vous avoue que je les verrais d’un meilleur œil obtenant un genre de statut de région avec une forte autonomie mais au sein d’une Europe sans nouvelles frontières, elle tend à les gommer, que la création d’un micro-Etat me fait immanquablement penser au danger d’une bosnisation de l’Europe avec tous les conflits futurs que cela risque d’engendrer. Mais on ne m’ôtera pas de l’idée, moi qui fus bercé au « droit des peuples à disposer d’eux-mêmes » que le droit à l’autodétermination du peuple basque est légitime au regard de l’occupation militaire, policière, économique, culturelle que l’Espagne beaucoup et la France pas mal exercent sur ces deux millions d’habitants. Droit d’enseigner et de parler sa langue s’il le veut, revendication d’une identité qu’on lui dénie, protection de sa culture, de ses traditions (à la con ou pas, peu importe…) et de ses paysages, le Basque refuse aux Etats centralisateurs et jacobins de décider de son économie, de sa politique, de son destin. Et puis surtout, quels que soient les évènements qui ont abouti à la situation d’aujourd’hui, il entend résister à la répression policière, militaire et barbouzarde menée conjointement par Paris et Madrid par les socialos d’hier comme par la droite d’aujourd’hui, contre les militants, les réfugiés politiques, les emprisonnés, les exilés.

Mon pote Txsetx m’écrit ceci : « En 1989 le gouvernement espagnol a organisé de A à Z l’assassinat du député basque Josu Muguruza, le soir même de son investiture au Parlement de Madrid. Un autre parlementaire, Inaki Esnaola, fut grièvement blessé lors de la même action. Deux policiers et un mercenaire d’extrême droite tirèrent les coups de feu, couverts par huit agents des services secrets espagnols. Voici donc un Etat de l’Union européenne qui organise froidement l’assassinat d’un représentant du peuple parce qu’il n’admet pas l’option politique dont il est le porte- parole ! En 1989 encore, le ministre de l’Intérieur José Luis Corcuera a fait poster trois colis piégés, dont un destiné à un parlementaire d’Herri Batasuna, qui tua le facteur chargé de le livrer. Dans les treize dernières années, la jeune et belle démocratie qu’est l’Espagne a pratiqué systématiquement la torture, des traitements pénitentiaires inhumains et illégaux, l’incarcération de journalistes, d’avocats et de parlementaires, a organisé un groupe para policier, le Gal, dont les activités se soldent par une multitude d’assassinats sur son territoire comme sur celui d’un Etat voisin au moyen de voitures et moteurs piégés, de mitraillages indiscriminés à l’encontre d’hommes, de femmes et d’enfants, a organisé ou tenté l’enlèvement d’au moins sept personnes sur le territoire français, dont deux ont été sauvagement torturées pendant trois mois consécutifs, exécutées et enterrées dans la chaux vive, assassiné ou tenté de le faire au moins trois parlementaires basques légalement élus au suffrage universel… »

Pour les six réfugiés politiques basques récemment livrés en toute illégalité à l’Espagne par Paris (sans que Madrid n’ait formulé de demande d’extradition), pour ceux qui purgent leur fin de peine dans les prisons françaises et risquent d’un moment à l’autre d’être extradés ou expulsés, on peut craindre le pire quand on sait que certains de ceux qui ont connu récemment le même sort ont été brutalement torturés aussitôt livrés aux policiers espagnols. Je ne voulais pas que Charlie Hebdo soit concerné par les propos de mon pote basque lorsqu’il conclut : « Ne rien dire sur de tels faits, ne pas s’opposer à leur remise par l’Etat français aux mains de tortionnaires et d’assassins patentés, occulter les vraies raisons et origines du conflit armé basque ôte toute crédibilité à ceux qui se prétendent champions des Droits de l’homme et de la défense des libertés. »

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