S'ACCOMPAGNANT D'UN DOIGT SUR LA DÉTENTE, LE CLOWN SE MEURT...
Charlie Hebdo, le 1er décembre 1993
« Renaud bille en tête
SACCOMPAGNANT DUN DOIGT SUR LA DETENTE, LE CLOWN SE MEURT
Cette semaine, je métais juré de parler de lActualité. Avec un grand A comme « tas de merde ». Pas parce que des lecteurs se plaignent de pas lire assez souvent sous ma plume des brûlots réquisitoires coups de gueule , non, juste pour faire plaisir à Philippe Val, qui ma demandé la même chose. Parce que lui, je laime beaucoup, alors que vous, je vous connais pas. Je métais dit que jallais traiter dun sujet vachement grave, vachement scandaleux, ou, en tout cas, vachement important. Genre les S.D.F, le chômage, la drogue, la pollution , le sida, la guerre ou le football. Javais décidé doublier que Val, Charb, Siné, Pasquini, Oncle Bernard et les autres font ça très bien, javais essayé de me convaincre que javais peut-être un avis différent du leur (et du vôtre), une opinion encore meilleure et, pour les exprimer, un talent forcément pas dégueulasse sinon vous pensez bien quà Charlie y mauraient viré depuis longtemps, à moins quils ne me gardent que pour ma signature, ce qui serait très con.
Et pi jai pas réussi. Jai eu beau chercher, rien dans lactualité du monde ne ma inspiré la moindre ligne. Du dégoût, de la déprime, de la colère, oui, mais pas lombre dune envie de les exprimer. Cest du bel espace journalistique perdu, vous vous dites. Une belle tribune désertée, du papier gâché, de la liberté dexpression autobâillonnée Ben peut-être. Mais cest surtout une grande lassitude, un sentiment dimpuissance, et la conviction désarmante de la futilité, du dérisoire quil y a à formuler chaque semaine ses indignations, à exprimer encore et toujours son désir de transformer radicalement cette société à la con, à défaut de pouvoir la détruire une bonne fois.
Deux choses ont retenu mon attention malgré tout, au point que jai envie den faire quelques lignes ici. Deux petites infos glanées au hasard dans le cloaque quotidien des nouvelles du monde et des gens : Achille Zavatta sest suicidé dune balle de revolver dans la tête ! Le suicide ma pas étonné plus que ça, mais le revolver, oui. Ca vous a pas fait bizarre, à vous ? Moi, je me suis vraiment demandé pourquoi un monsieur avec un nez rouge, des chaussures trouées, un manteau à carreaux, un chapeau en chiffon et un violon cassé, un monsieur dont la vie n'a, apparemment, obéi quà une règle : faire rire les enfants, pourquoi ce monsieur si gentil avait un flingue chez lui. Je serai clown, il me semble que jaurai un pistolet à eau ou une carabine à flèches, pas un 357 Magnum, non ? Ah bon
Je sais pas pourquoi, mais je me dis que si Zavatta avait un vrai revolver à mort , un mec comme, par exemple, Charles Pasqua, a probablement chez lui une bombe thermonucléaire.
Pi la seconde chose qui ma étonné dans lactu, cest ce sondage fait auprès des 11-17 ans. « Qui aimeriez-vous avoir comme parents ? » Sondage vraisemblablement un peu manipulé, comme cest souvent le cas, puisque jimagine quon a soumis aux mômes une liste de « personnalités » plutôt que de les laisser répondre spontanément. Comme maman, cest Balasko qui arrive en tête. Pour les papas, cest Dechavanne. Je rigole parce que ça doit énerver Nagui. Depardieu est troisième, ce qui est marrant, aussi, son fils Guillaume, un petit peu enchristé, sera sûrement ravi de savoir que sa place est enviée. Moi, je suis quatrième. Sympa Quand jai vu ça, je me suis demandé si javais bien lu et si on ne me plébiscitait pas plutôt comme grand-père, mais non. Pour voir, jai demandé à ma fille ce quelle aurait répondu, comme je my attendais, elle a sorti Clark Gable et Vivien Leigh. Pi du coup, elle ma posé la question. Jai dit Brassens comme papa et heu comme maman, heu allez, Charles Trenet !
Avec des parents comme ça, à tous les coups jaurais fait chanteur. Pas chroniqueur à Charlie Hebdo
RENAUD »