Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 10 janvier 2001.

VIVE LA RÉSOLUTION ! Mais bordel ! Où c'est qu'j'ai mis ma guitare ?

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Charlie Hebdo, 29 décembre 1993

 

« Renaud bille en tête

VIVE LA RESOLUTION !

Mais bordel ! Où c’est qu’j’ai mis ma guitare ?

 

Bon, c’est décidé ! 1994 sera l’année des grandes résolutions. Je partage le travail. Moi, j’écris mes chansons, Philippe Val embauche un jeune pour me remplacer ici. Sympa, non ? Fallait bien que je tire ma révérence un jour ou l’autre, eh ben c’est un mercredi 29 décembre.

J’ai bien rigolé pendant dix-huit mois à vous écrire mes petites ou grosses colères, mes émotions, mes doutes, mes certitudes et puis mes nostalgies. Beaucoup de futilité là-dedans, mais, que ça vous ait plu un peu, un max ou pas du tout, sachez que j’y ai pris bien du plaisir, que j’ai vraiment aimé partager ce bout de chemin avec Charlie, avec ceux et celles qui le font et Val.

Etre contraint à la discipline rigoureuse d’une chronique chaque semaine que Dieu fait, ça va, hélas, plus être possible, avec la prise de tête quotidienne que m’inflige la fréquentation douloureuse de ma guitare et celle, plus agréable, de mon dictionnaire de rimes. Si Charlie le veut bien, je reviendrai dans quelques mois, s’il le veut aussi je vous donnerai de temps à autre de mes nouvelles dans d’épisodiques chroniques.

Mais je m’en voudrais de retourner à mes chansonnettes, pour lesquelles je n’ai ni délai de bouclage ni envie de bâcler, sans répondre au caporal Siné, qui, dans son « Appel à la mobilisation générale » de la semaine dernière, me « traitait » de déserteur sans imaginer probablement combien, par rapport à toute guerre, ce terme est élogieux.

Magnifique, Bob, ton vibrant plaidoyer pour la mise à mort de nos nombreux ennemis, émouvant… On dirait B.-H.L. haranguant Léotard pour aller bouter le Serbe hors de la Croatie. Qu’est-ce que t’attends pour t’engager ?

Je conçois aisément que tu ne sois pas d’accord avec moi, je n’étais pas sûr moi-même de l’être. Mais, finalement, merci de ton papier, depuis, je n’ai plus de doute : oh oui, déserteur et fier de l’être ! Mais surtout pas de la race des pacifistes de circonstance, des non-violents occasionnels, des ennemis de la guerre tant qu’elle est loin, tant qu’elle n’est pas « chez eux » (comme si la terre leur appartenait), des réfractaires aux armes qui astiquent leur fusil à pompe en cachette, des amis des déserteurs quand ils sont «de l’autre camp », surtout pas de la race du beauf qui dort sous l’humaniste, de l’ayatollah qui sommeille sous l’anticlérical patenté. Ceux-là, qui prétendent défendre de nobles valeurs de justice, de paix, de fraternité et de tolérance mais sont prêts à flinguer pour les voir triompher, ceux-là, qui choisissent toujours entre la bonne guerre et la mauvaise, qui savent toujours où est le bon soldat, le bon fusil, la bonne mort, qui déplorent le sang versé par les « salauds », mais justifient toujours celui versé pour la défense ou la libération d’un peuple ou d’une terre, qui comprennent que les victimes tuent pour de « belles idées » puisque les bourreaux tuent pour des « mauvaises », ceux-là me fatiguent et, pour tout dire, m’inquiètent. Je pense, cher Bob, que je n’aimerais pas être ton ennemi demain. Tu me ferais aussi peur que ceux que j’ai aujourd’hui. Ceux contre lesquels j’ai choisi de lutter par l’intelligence, l’humour, l’amour et la poésie, ces armes que je manie mal, certes, mais qui sont tellement redoutées et tellement meurtrières sur les cons et haineux de tous bords qu’ils les craignent et les combattent depuis la nuit des temps.

La chanson Où c’est qu’j’ai mis mon flingue, à laquelle tu fais allusion, fait partie de ces armes, comme les chansons de Font et Val, comme tes dessins, comme nos chroniques, comme Charlie Hebdo.

Charlie Hebdo dont, à la veille de cette nouvelle année, je salue les lecteurs et embrasse l’équipe et, parmi elle, le tonton-flingueur de pacotille, le Rambo de mes deux, le Sentier lumineux du dimanche que tu fais semblant d’être, juste pour m’énerver.

Allez, 1994, crosses en l’air !

RENAUD »

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