Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 10 janvier 2002.

Larmes à gauche...

> Charlie-hebdo N°187 – 17 janvier 1996

Larmes à gauche...  Le temps des cerises, c'est pas demain...

Vous avez pas pleuré, vous ? Moi au moins dix fois. Devant ma télé le soir même et tous les soirs suivants, en quittant la rue Le-Play, le mercredi soir à la Bastille sous sa photo monumentale, et même lorsque Barbara Hendricks nous a massacré Le Temps des cerises dans sa version Neuilly de cet hymne du peuple de gauche. Erreur de casting...

Quelque conseiller en communication attaché au PS, plutôt que de privilégier l'émotion et l'authenticité, aura probablement pensé, une fois de plus, en terme d'impact télévisuel. Là où un Marc Ogeret nous aurait arraché les tripes, la grande artiste nous a offert un numéro de virtuose lyrique ennuyeux et mondain. 

Mais si, vous avez pleuré... Forcément... Vous n'osez pas me l'avouer parce que, comme moi, vous gardez en travers de la gorge l'affaire Greenpeace, la guerre du Golfe et, surtout, la soumission à l'économie de marché. Mais, comme moi, vous savez qu'un homme qui aimait tellement les livres n'a forcément été guidé que par le désir d'y trouver un rempart à l'ignorance, à la barbarie, une source inépuisable de mots, d'idées et de sentiments qui mènent l'homme à un degré supérieur de conscience dans sa recherche de la beauté, de la vérité et de la justice.

Moi c'est pour ça que je l'ai soutenu, au moins au moment des grandes échéances électorales, pour ça que j'ai toujours assumé l'étiquette de «Tonton-maniaque» dont des journalistes «de gauche», plus volontiers que d'autres, m'affublaient avec ironie (comme pour se venger des relations affectives privilégiées que j'avais, contrairement à eux, la chance d'entretenir avec lui...). Je l'ai critiqué vertement parfois, il ne m'en tint jamais rigueur, le lion assoupi en veut-il à la puce qui le pique et lui rappelle les combats à mener ?

Bien sûr que vous avez pleuré... Même si ce fut sur vos illusions perdues, même si ce fut en souvenir d'une autre place de la Bastille quinze ans plus tôt, vous avez pleuré de rage contre la maladie et la mort, contre les chiens qui depuis un an s'acharnaient sur l'homme blessé, vous avez, comme moi, pleuré l'humaniste, son intelligence, sa culture, sa malice et son humour, et puis vous avez pleuré comme moi en réalisant, allez, avouez, que si vous aviez su que vous l'aimiez autant vous l'auriez aimé davantage. 

RENAUD

P.-S.1 : Je sais... Un homme d'abord ça pleure pas ! Regardez Ariette Laguiller... Miss Pol Pot ne sait probablement même plus ce que «pleurer» veut dire. Ses dernières larmes remontent à la prise du palais d'Hiver en 1917...

P.-S.2 : Jean-Jacques Goldman, dans Libé, écrit de Mitterrand : « Habileté, charme, il fut l'archétype de l'homme de droite. » Ben alors ? Il aurait dû te plaire... À moins que tu ne sois l'archétype de l'homme de gauche, toi pour qui l'engagement politique et la justice se résument aux Restos du Cœur ?

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