Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 20 mai 2000.

TRÈS CONNU COMME CHANTEUR !

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Charlie Hebdo, le 7 avril 1993

 

« Renaud bille en tête

TRES CONNU COMME CHANTEUR !

Mais dans les léproseries roumaines, je vends pas un disque

 

La rédaction de Charlie m’a proposé de m’envoyer en reportage. A l’étranger. Je me suis dit, ça y est, y savent pas comment me virer, ils vont m’envoyer à Sarajevo pour faire de moi le premier martyr de la presse libre à 10 francs et économiser des indemnités de licenciement. Non, non, m’ont-ils dit, tu vas où tu veux. J’ai dit O.K., je vais faire un reportage sur l’écosystème aux Maldives. Y m’faut bien trois semaines… A la rédaction, ils ont fait « ah ! ah ! ah ! » mais j’ai bien senti qu’ils craignaient de m’envoyer là-bas, je crois qu’ils s’en voudraient si j’attrapais un coup de soleil à cause d’eux.

-         Non, tu vois, ce qui serait bien, ce serait un endroit où ça bouge, genre en Lituanie. Ou Bucarest… Tu connais Bucarest ?

Je sais pas pourquoi, j’étais presque sûr que ça se finirait dans un pays de l’Est. C’est vrai que « ça bouge » dans ces coins-là. « Mais, leur ai-je demandé, ça bouge aussi pas mal à Bruxelles…

-         Oui, mais on préfère t’envoyer dans un coin où t’es pas connu comme chanteur. Tu passeras plus facilement inaperçu, et ça te sera plus facile pour bosser… »

Les salauds venaient de m’humilier grave, mais j’ai rien dit. J’étais très connu comme chanteur dans les pays de l’Est ! L’autre jour encore, je recevais une lettre d’un professeur de l’université de Cracovie me demandant si « Dovbrdja wisczoky tak laisse béton zvodjniskaïa ? »

-         Ecoute, réfléchis, c’est pas aux pièces, tu nous diras ça à l’occasion… Mais pense à Bucarest, hein ?

En rentrant chez moi, j’ai pris mon atlas, les yeux fermés, je l’ai ouvert à une page au hasard et j’ai planté la pointe de mon stylo au milieu de la page offerte. « J’irai où mon destin me dira d’aller » pensais-je en rouvrant les yeux :

MONTFERMEIL !

Hé, ho ! C’est pas mon destin, ça, c’est mon stylo ! Je commençai par me demander si je n’avais pas eu tort de refuser Bucarest, puis je décidai de me donner une seconde chance en choisissant l’endroit pointé par un trou de l’autre côté de la page : plan de Paris, bois de Boulogne.

O.K., je pars pour le Brésil ! Par acquit de conscience, je décidai quand même de demander conseil à ma douce épouse et à notre rejeton. Après tout, quelle que soit ma destination, c’est elles qui allaient se retrouver comme deux pommes avec leur mouchoir sur un quai de gare, puis, telles des femmes de marins, elles qui allaient m’attendre au bout de la jetée de leur solitude, abandonnées comme deux oisillons orphelins dans un nid déserté, pendant des jours longs et tristes comme un rêve de pute.

-         Et ben, pourquoi t’irais pas à Bucarest ? Il paraît que ça bouge, dans ces coins-là, me répondit ma femme.

Je fis comme si je n’avis pas entendu, d’ailleurs je crois que je n’ai pas entendu. J’allai trouver ma fille.

-         Ah bon… Tu vas encore te barrer ? Ben, t’as qu’à aller dans les pays de l’Est, vu que là-bas t’es pas connu comme chanteur tu pourras passer inaperçu et bosser plus facilement. Pi nous, pendant ce temps, avec maman, on va p’t’être aller trois semaines aux Seychelles pour étudier l’écosystème.

En retournant le lendemain au journal, je croisai Luz à qui j’avais demandé de m’accompagner dans ce « reportage » pour en rapporter de jolis dessins. Lui, de son côté, avait pensé que nous pourrions aller à Medellin, en Colombie…

Bon… Quel temps y fait, en ce moment, en Roumanie ?

RENAUD »

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