Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 15 février 2002.

Gaza et Jéricho d'abord, Renaud et Anne Sinclair ensuite

> Charlie Hebdo n°64 - 15 septembre 1993

GAZA ET JERICHO D'ABORD, RENAUD ET SINCLAIR ENSUITE.
Un accord de paix, et l'addition !

MA JOURNÉE avait mal commencé. D'abord ma fille qui rentre de l'école avec son emploi du temps de cette année : trente-cinq heures par semaine ! J'ai beau lui dire que c'était une des promesses de la gauche, elle me précise qu'avec les devoirs à la maison -- deux heures par jour minimum -- ça lui fait une semaine de quarante-huit à cinquante heures, avec pas un matin de grasse mat' puisque, nouveauté cette année, elle bosse le mercredi ET le samedi. Pour pas un rond. , Vous vous en foutez, c'était pareil pour vous, c'est pareil pour vos mômes, c'est comme ça depuis des siècles, vous trouvez ça normal. Pas moi. J'ai la haine. T'as pas un adulte qui, comme nos gosses, accepterait de bosser à l'œil cinquante heures par semaine pendant quinze à vingt ans pour se retrouver chômeur au bout du compte. Les mômes, on s'en fout. C'est du bétail, on pense pour eux, on sait pour eux ce qui est bien ou mal, on pense aux pauvres enfants qui n'ont même pas la chance de pouvoir aller à l'école, on se dit « c'est jeune, c'est solide, pi ça doit en chier ! »

Moi je pense que l'école c'est le bagne, qu'on y envoie nos mômes pour les punir de rien, comme on nous y a envoyés, qu'on trouve ça normal puisque c'est obligatoire, qu'on a une confiance aveugle en cette institution poussiéreuse et archaïque qu'est l'Education nationale, un attachement sentimental de vieilles bigotes socialisantes à notre belle école laïque et républicaine, un amour totalement disproportionné pour ces professeurs largués dont la noble et délicate mission serait d'enrichir de leur savoir nos chères têtes blondes sans leur faire miroiter cette illusion qu'ils les forment à un boulot futur.

De l'air ! Du temps libre ! Libérez Lolita ! A 7 ou 8 heures du soir, quand ma môme a fini sa journée, qu'il n'est plus temps de rien foutre, il n'y a plus, hélas, qu'« Hélène et les garçons » pour lui permettre de s'évader un peu, pour décrocher de cette réalité de merde et de ce boulot d'esclave qui lui a pris la tête et les jambes depuis le matin 7 heures ! Vous me l'abîmez, avec vos horaires de galériens, vous lui pourrissez le crâne de physique, de technologie, de latin, d'espagnol, de français, d'anglais, d'histoire-géo, de musique, de dessin, de gym, de piscine, de maths, de biologie, de sciences naturelles, d'instruction civique, vous prétendez l'éduquer dans vos écoles-Intermarché de la connaissance où on trouve toute la nourriture de l'esprit, vas-y ma fille, remplis ton caddie, c'est pas cher et y'a du choix, c'est pas bon mais ça gave, alors qu'elle rêverait d'une école-épicerie de campagne qui n'aurait en rayon que de l'amour, des beaux livres, des pinceaux pour dessiner les rêves et des porte-plumes pour écrire ton nom, Liberté.

Ne perdez surtout pas votre temps à m'écrire si vous pensez que je délire, si vous n'êtes pas d'ac. Je vous réponds d'avance : vous avez raison ! Je suis excessif, je m'énerve, j'ai tout faux ! Mais on ne m'ôtera pas de l'idée qu'elle est mal barrée, cette société qui fait trimer les gosses comme des forçats et balance leurs parents à la rue sans boulot...

?

Après, ça s'est arrangé. J'avais un déjeuner avec une journaliste ma foi assez jolie, et qui anime avec talent une émission de télévision des plus intelligentes sur une chaîne qui n'en compte guère... Je devais la persuader que, malgré son insistance et celle de Claude Berri, je n'étais pas le bon cheval pour son émission. « Vous comprenez, madame Sinclair, l'actualité du monde est un cloaque, si je m'aventurais à la commenter, à la disséquer chez vous, j'aurais forcément la bouche pleine de boue. Cette époque me désespère, je ne souhaite afficher mon désespoir devant dix millions d'inconnus, surtout un dimanche. Les dimanches aussi me désespèrent » Alors elle m'a expliqué comment ça allait se passer, comment je serai très bien et comment ça allait faire une très belle émission. Au dessert, j'ai fini par lui concéder « Je ne me sens ni le droit de participer à votre émission, ni les qualités pour le faire, j'irai néanmoins, par honnêteté vis-à-vis des centaines de personnes qui ont partagé avec moi l'aventure de Germinal, parce que ce fut un projet ambitieux et courageux, que je me dois de le défendre, ne serait-ce que vis-à-vis d'eux. » Au café, on est venu lui apprendre la signature de reconnaissance mutuelle Israël-O.L.P, elle avait l'air vraiment heureuse, moi j'ai sorti mon P38 et j'ai tiré six coups de feu en l'air dans le resto en hurlant ma joie : « Allah Akbar ! Allah Akbar ! »

Sans déconner, je sais pas si la chute du mur de Berlin, la révolution des œillets, la mort de Franco, la libération de Mandela et la victoire de l'O.M. en Coupe d'Europe m'ont procuré à eux tous un bonheur aussi grand que celui-là.

Après je suis allé, plein d'allégresse, chercher ma fille à l'école. C'est en voulant lui porter son cartable que je me suis démis l'épaule et fracturé le poignet.

RENAUD

Corsica.
Si je vous parle d'un disque qui m'a fait tomber et si, en plus, ça énerve Charb, vous me faites confiance ? Petru Guelfucci, il s'appelle. Il est corse et il chante dans sa langue. J'ai rien entendu d'aussi beau depuis des siècles. Imaginez Pavarotti accompagné par les Chœurs de l'Armée rouge, le Philharmonique de Vienne, et Yehudi Menuhin au violon. Peut-être que ça craindrait ? Ben là, c'est magnifique. Des mélodies d'enfer, une voix du diable et des paroles, traduites dans le livret, que je laisse à votre appréciation...

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