Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 13 février 2002.

« J - 4 » (« J » COMME J'ANGOISSE...) - Renaud dans les mines de TF1

> Charlie Hebdo n°65 - 22 septembre 1993

« J - 4 » (« J » COMME J'ANGOISSE...) - Renaud dans les mines de TF1

ON EST MERCREDI, non ? Dans quelques jours, j'en connais un qui va baliser... Pas comme tous les potes qui depuis des mois me tannent avec cette agaçante certitude selon laquelle le Renard chez Anne Sinclair, ça va être formidable.

- « D'accord, précisent-ils, on y a vu quelques saltimbanques qui n'avaient pas grand-chose à y foutre, qui y ont brillé par la banalité consternante de leurs discours, par la tiédeur de leurs positions archi-consensuelles, mais toi, Renaud, putain merde! T'as quand même plein de trucs à dire ! Tu vas balancer un max ! Tes pas un mou ! Tu vas secouer le cocotier ! »

Ben voyons... Fastoche de pousser les potes à aller au charbon quand toi tu vois la joute depuis ton fauteuil. Qu'est-c'qu'ils s'imaginent ? Que parler à « 7 sur 7 » c'est évident, qu'il n'y a qu'à simplement dire ce qu'on pense, répondre aux questions avec franchise, clarté et sans agressivité, être poli avec la dame et dire merci en partant pour faire « une bonne émission » ? Pour cartonner ? Ça peut se terminer par un carton rouge que je me trimballerai ensuite tout seul et pendant longtemps...

Vous avez déjà eu sur vos épaules la responsabilité de vous exprimer devant plusieurs millions de téléspectateurs ? Vous savez ce que c'est que cette peur qui vous prend quand le rouge s'allume, quand les projecteurs vous isolent dans leur lumière sans merci, quand une ribambelle de photographes vous mitraillent quelques minutes avant le coup d'envoi, quand, avec la certitude qu'on vous livre au jugement impitoyable ou complaisant de vos contemporains, on vous demande de vous adresser à travers les questions de la dame à des gens qui vous aiment et que vous avez peur de décevoir, à d'autres qui vous détestent et qui espèrent tellement vous voir vous planter...?

Vous savez la difficulté de trouver l'idée juste et les mots efficaces pour l'exprimer ?

L'impossible ambition qui voudrait qu'en quarante minutes je parle de moi, de mes engagements, de mes convictions, de Germinal et de l'actualité du monde avec intelligence et cohérence ? J'ai bien peur de ne pas être l'homme de communication idéal pour mener à bien cette périlleuse entreprise.

Je vais donc prendre les devants et essayer, au moins pour toi, ami de la presse libre à 10 F, d'écrire ici ce que j'aurais peut-être du mal à dire là-bas...

Qu'elle me fait vraiment gerber, cette France balladurienne qui a remplacé la lutte des classes par une société de loisirs, de consommation et de consensus, qui a remplacé la justice par la charité, la culture et les idées par la communication, la solidarité par l'individualisme, la fraternité par l'exclusion et la fierté d'un peuple par son football. Qu'elle est devenue folle, cette société qui voit des enfants s'égorger, des familles crever dans la rue, des néonazis parader, des journalistes condamner et des juges ramper, des charters expulser, des politiciens magouiller, des militants renoncer, des enfants hémophiles empoisonnés, des arbres arrachés, des ours condamnés, des enfoirés s'amnistier et des patrons triompher.

Que le monde est un conte absurde plein de bruit et de fureur, raconté par un idiot...

RENAUD

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