Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 12 mai 2000.

PLUS LOIN QUE LE BOUT DE L'ENFER Allô la FORPRONU, venez vite j'ai chopé un coup de soleil

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Charlie Hebdo, le 15.05.96

PLUS LOIN QUE LE BOUT DE L'ENFER

Allô la FORPRONU, venez vite j'ai chopé un coup de soleil

Seconde partie de mon reportage dans l'enfer indonésien, cette semaine, grâce à mon sang-froid légendaire, j'échappe à la fin cruelle que les tueurs à mes trousses voudraient bien m'infliger afin de faire taire la voix de la vérité qui, par ma bouche, foule aux pieds la main de l'imposture qui voudrait nous faire prendre les vessies de la dictature pour les lanternes d'un petit éden ensoleillé à l'autre bout du monde.

Samedi.

Le missile Stinger passa à un millimètre de mon oreille droite, m'arracha au passage quelques-unes de mes magnifiques mèches brunes et alla exploser la vitrine du pressing dans mon dos. " Enfer et damnation ! On nous canarde ! Tous à terre, vite ! " m'écriai-je alors dans un souci légitime de repartie héroïque. Alors que je me jetais sous une voiture en stationnement, M. Tchong choisit de se cacher sous l'autobus 38. Il fut traîné sur plus de huit cent mètres, le corps enroulé dans l'essieu avant, ses intestins dessinant de jolies traces rouges sur le revêtement de la chaussée jusqu'à l'arrêt suivant. " En voilà un qui ne parlera plus.. " pensai-je avec un brun d'amertume. La situation, décidément, s'annonçait périlleuse. Il me fallait à tout prix rejoindre l'ambassade de France, décrocher d'urgence une escorte pour gagner l'aéroport, et filer au plus vite par le premier avion. Ce matin, j'ai découvert un micro habilement dissimulé derrière le lavabo de ma salle de bains, un autre sous mon lit, un troisième dans le combiné du téléphone, j'ai l'impression qu'on m'épie.

Dimanche.

Rien. (Penser à demander à la réception toasts et croissants pour le petit déj'.)

Lundi.

Il y avait un homme dns ma chambre cette nuit. Je n'ai pas fermé l'œil jusqu'à l'aube. En me penchant pour vérifier qu'une bombe n'avait pas été dissimulée sous mon lit j'ai vu la pointe de ses souliers qui dépassait de derrière les doubles rideaux. Je pouvais sentir son haleine fétide et le souffle rauque de sa respiration tandis que je me brossais les dents avec application au-dessus du lavabo sordide. Je découvris encore un micro posé bien en évidence sur le robinet d'eau froide, m'apprêtais à l'enduire de dentifrice afin de le neutraliser, quand je le vis détaler le long du mur. " Soit la micro technologie a fait des progrès considérables, soit ce micro est un cafard ! " pensai-je par-devers moi en gagnant mon lit. Je n'étais pas couché depuis cinq minutes qu'un bruit bizarre attira mon attention. " Tchiktchiktchik ! " Aussitôt après je sentis m'enrouler autour de ma jambe le corps sinueux et glacé d'un serpent à sonnettes. Je décidai de ne pas bouger d'un cheveu, retenant ma respiration jusqu'à m'en faire exploser la poitrine, attendant une minute qui me parut durer une éternité que le serpent fût sur mon oreiller puis, avec d'infinies précautions, en évitant le moindre geste brusque, je m'emparai de mon 357 Magnum sur ma table de nuit et lui fis sauter la cervelle (au serpent, pas à la table de nuit, vous aviez compris…). Lorsque, à travers les persiennes, l'aurore darda ses rayons pâlots sur mon humble petite cahute, je m'habillai rapidement, avalai d'un trait une bouteille de Southern Comfort et décidai de régler son compte à mon visiteur nocturne. Il avait bien évidemment disparu ! Le félon avait dû profiter d'un moment d'inattention de ma part pour prendre la poudre d'escampette. Je vérifiai que mes traveller's cheques étaient toujours dans la poche intérieure de ma gabardine. Dieu soit loué le scélérat n'y avait pas touché ! Je descendis dans la rue, encore jonchée de cadavres des émeutes nocturnes, enjambai le corps affreusement mutilé d'un jeune soldat de vingt ans à peine et pensai " quel gâchis !". De mon côté, ça n'allait pas beaucoup mieux. La lèpre que j'avais contractée continuait à me faire subir mille supplices, mon corps était de plus en plus rouge et des lambeaux entiers d'une fine pellicule de peau commençaient à tomber sur mes épaules. Je me dirigeai vers le ministère de l'Intérieur de Bali pour y déposer une pétition rédigée par mes soins et signée par un copain et moi, pétition qui demandait la libération d'un opposant politique très connu ici mais dont le nom ne vous dirait rien. Au ministère, on m'informa que ce monsieur venait justement d'être libéré et de prendre le pouvoir à la faveur des émeutes populaires de ces derniers jours. Je décidai rageusement a pétition et décidai d'aller rendre visite à M. Lee (pseudonyme…) dans la petite boutique qu'il occupait dans le quartier des affaires. M. Lee est un ancien artisan spécialisé dans la vente au détail de sachets de cacahuètes à l'aéroport. La crise économique étant passée par là il a dû renoncer à cette activité qui lui assurait une vie confortable et un revenu régulier et en est réduit aujourd'hui à enseigner la physique nucléaire à l'université de Denpasar, ce pour un salaire de misère étant donné son manque de diplômes et surtout de connaissances dans ce domaine. " Les cacahuètes c'était toute ma vie ! " me confie-t-il avec le désespoir tranquille de celui que l'économie de marché a brisé " mais l 'économie de malché m'a blisé ! " (Ah ! Vous voyez, j'invente rien, il dit comme moi !) " A l'aélopolt je vendais mes deux tlois sachets de cacahuètes pal joul, tout allait bien… En 95 quand ils ont plivatisé, ils ont mis un petit copain à eux dans le hall avec un beau stand et une belle pancalte "Cacahuètes", moi ils m'ont ploposé de m'installer sul les pistes. J'ai bien complis que c'était une façon de se déballasser de moi… " Tout en parlant, M. Lee finissait de réparer une fissure sur un cœur de réacteur nucléaire. Comme je m'en étonnais, il m'expliqua : " Je suis obligé de faile quelques tlavaux platiques à la maison sinon mes enfants n'aulont lien à manger… "

Mardi et mercredi.

Rien. (Penser à rapporter à Philippe un de ces merveilleux petits bouddhas sous globe de plastique qui se couvrent de neige lorsque tu les retournes.)

Jeudi.

Mon reportage s'achève, j'ai récupéré ma famille qui, elle aussi, a chopé la lèpre (une forme moins grave tout de même, ma femme a utilisé un remède de grand-mère appelé " écran total "), je vais regagner notre vieille Europe, laisser derrière moi des amis formidables, des gens qui aiment les livres, la musique, le football, je reviendrai un jour ici, je le sais, et je retrouverai ma montre.

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