TOUCHE PAS A MA BANANE !
Charlie Hebdo, le 4 janvier 1995
« Renaud Envoyé spécial chez moi
TOUCHE PAS A MA BANANE !
Fais ta prière, Siné
Cher Bob,
Ca fait tout juste un an que jai arrêté décrire dans Charlie, je nose pas imaginer combien je tai manqué. Je nai, de mon côté, jamais cessé de te lire, commençant toujours mon numéro par tes gribouillis de la page 10, vingt minutes pour les déchiffrer, une semaine pour les digérer, toujours émerveillé devant ton sens profond de la nuance, toujours fasciné par ton amour de lhumanité et les solutions que tu préconises pour la débarrasser de la canaille galonnée ou non, solution auprès desquelles la « finale » paraît bien fade. Et puis jai suivi tes conseils, au moins musicalement, jai acheté quelques-uns des disques de musiques de nègres dont tu nous recommandes lécoute à longueur de colonnes, cest vrai que finalement cest pas mal, surtout les paroles. Musicalement, par contre, je me demande si je ne préfère pas Daniel Guichard. En fait, ça ne métonnes pas que tu craques pour le gospel, les petits maîtres blancs ont toujours eu cette indulgence amusée pour le chant des esclaves.
Je rigole. Cest juste pour ténerver. Juste parce que depuis un an jai croisé des dizaines de lecteurs qui, après mavoir fait part de leur tristesse devant ma démission de Charlie, m'ont affirmé : « ce quon aimait bien, surtout, cest quand tu tengueulais avec Siné ! » Alors voilà. Comme en plus tu as lâchement profité de mon absence pour continuer à me chambrer alors que je pouvais même pas te répondre, je te préviens que je vais être particulièrement vigilant au moindre de tes écrits et crobards. Au premier dérapage je tallume. Si, par exemple, après avoir chié dessus depuis des siècles, tu tavises de nous faire léloge des polyphonies corses sous prétexte que tu tes déniché à vil prix une résidence secondaire dans lîle de Beauté et de boum-boum et que tu crains quon te la fasse péter, je vais pas me gratter pour te traiter de faux-cul. Si tu nous la joues un peu trop beauf avec ton comité de soutien aux fumeurs, aux pochtrons et aux automobilistes, je rejoins le camp des buveurs deau non fumeurs rouleurs de scooter, au premier rang desquels mon Philippe Val de rédacteur en chef préféré que tu nas, dailleurs, pas pu tempêcher dégratigner récemment, ingrat que tu es ! Le malheureux navait pourtant pas commis dautre crime que de déclarer dans ces pages : « Comptez pas sur moi pour aller manifester dans la rue si demain le gouvernement interdit les bananes. » Déjà, moi, je savais pas quelles étaient autorisées, donc je men cognais un peu de vos histoires de bananes. Mais toi non. Aussi sec, tu montes au créneau, on touche à ta banane, on attente à ta liberté, tes prêt à te battre, prêt à mourir pour la légalisation dun fruit défendu. Encore, la pomme, je comprendrais que tu tinsurges, mais as-tu déjà bu du calva de banane ?
Quant à Philippe Val, rassure-toi, je ne le considère pas non plus comme blanc-blanc dans cette ô combien intéressante polémique. Son mépris de la banane vient, nen doutons pas, de son éducation provincialo-militaro-puritaine que, sous sa carapace dinsurgé, jai si souvent vue transpirer. Phiphi, si tu lis ces lignes, cesse donc dassimiler désespérément lidée de « banane » à une bistouquette, tu sais bien que Siné, toi et moi, cest plutôt le mot « cure-dents » qui devrait nous inquiéter
Bon, allez, sérieux, bonne année à tous chez Charlie, salut à toi lecteur chéri damour, bienvenue à moi, à partir de la semaine prochaine je vous promets une chronique régulière sur lHomme et sa fiancée, avec ou sans banane.
RENAUD »