Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 27 mars 2002.

Aimez-vous Brahms ?

> Charlie-hebdo N°199 du 10 avril 1996

Aimez-vous Brahms ?

Renaud découvre que « Ta-ta-ta-ta », c'est de Beethoven

Quand j'étais môme, au siècle dernier, comme je faisais aucun effort pour arriver à rien alors que je voulais arriver à tout, mon père me disait tout le temps : « Tu me fais penser à cet imbécile à qui on demandait s'il savait jouer du violon et qui répondait: "Je sais pas, j'ai jamais essayé." » II avait pas tout à fait tort. Je vous dis ça parce que ma fille veut jouer du violon. Comme moi à son âge, elle a pas trop envie de passer par les cours, le solfège, les gammes et tout le fouchtra qui dissuade, elle voudrait, je crois, jouer tout de suite la Sonate à Kreutzer et pas n'importe comment s'il vous plaît. Je lui rappelle alors ces mots de Boby Lapointe : « Le violon, ou tu joues juste ou tu joues tzigane », elle me demande de quoi je me mêle et est-c'que je sais jouer du violon pour dire ça ? Je lui réponds que je sais pas, j'ai jamais essayé. Ça lui a pris comme ça, il y a quelques semaines, depuis ça la lâche pas. Pour tester sa passion je lui ai proposé de m'accompagner à un concert de musique classique : le Concerto pour violoncelle et orchestre en si mineur de Dvorak, suivi de la Symphonie n9 4 en mi mineur de Brahms, le tout pour soixante balles à l'auditorium Saint-Germain. Je m'attendais vaguement à un « Ah, non, pas ce soir, y a un super-giga bon film à la télé ! » Bizarrement elle a dit OK. Moi ça me donnait l'occasion d'assister à mon premier concert de musique bourgeoise, elle ça allait, au choix, motiver plus encore son enthousiasme ou bien la dissuader totalement. Dites donc, ça rigole pas la musique classique !

Déjà le programme qu'on te distribue à l'entrée, pour le déchiffrer t'as intérêt à avoir fait des études : « On n'ignore point que la passacaille ou passaglia, danse d'origine italienne, de rythme ternaire, de rythme modéré et constitué sur un ostinato varié, est proche de la chaconne dont elle ne se distingue que par le mode mineur et parfois le passage de l'ostinato d'une partie à l'autre, ce qui passe ici même dans la variation n° 15, avant que le motif initial ne réapparaisse, à l'instant où la coda débute et comme pour faire l'effet, avec sa première énonciation, de deux solides piliers sur lesquels s'appuierait la voûte prodigieuse de l'édifice...» Les musicos ont l'air sérieux comme s'ils jouaient une marche funèbre (les trombones je comprends, mais je vois pas ce qui empêche les violonistes de sourire), le chef nous tourne le dos tout le temps, si tu murmures à l'oreille de ta femme « j'aime beaucoup la voûte prodigieuse de l'édifice » t'as un mec derrière qui te dit «chuuut», quand t'allumes ton briquet dans les passages tendres t'as trois pompiers qui viennent t'insulter, et à l'entracte les gens se parlent doucement, avec des airs recueillis, un peu comme à un enterrement de quelqu'un qu'on aimait pas. Bon, dans l'ensemble c'est quand même joli à entendre, ça joue pas très fort, c'est proprement habillé et, à la fin, y a pas de rappels un peu convenus comme dans nos concerts à nous.

« Alors, ma fille ? j'ai demandé à ma Lolita en sortant, ça t'a plu ? T'as toujours envie de faire du violon? Tu préfères pas le violoncelle, la contrebasse, les timbales ?
- Le violoncelle c'est trop gros et puis ça ressemble trop à une guitare, m'a-t-elle répondu, je préfère le violon, c'est plus aigu, le son est plus pur... »

Je vais pas la contrarier en lui expliquant que jamais Mozart aurait dit à son père «le piano c'est trop gros et puis ça ressemble trop à un meuble», non, je vais lui acheter un violon d'occase, et bientôt je vous raconterai le son pur et aigu des crincrins qu'elle en tire...

RENAUD

P.-S. : J'ai trouvé une combine pour que mes musiciens jouent moins fort avec moi : je vais leur mettre des partitions...

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