Écrits par Renaud Charlie-Hebdo, le par fr.
Mis en ligne dans le kiosque le 14 décembre 2000.

LAISSE BÉTON !

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Charlie Hebdo, le 13 juillet 1993

 

« Renaud bille en tête

LAISSE BETON !

Et c’est pas du verlan

 

Chers habitants de la vallée d’Aspe, ainsi donc les jeux sont faits. Vous aurez votre tunnel. Vous aurez une nouvelle route, à deux, trois ou quatre voies, une « voie rapide », comme ils disent, vous aurez des « ursoducs », bonne conscience des élus locaux qui font semblant de croire que les ours emprunteront ces tunnels en béton pour passer de la vallée à l’autre, vous aurez une rivière détournée par endroits de son lit et canalisée dans des berges bétonnées, vous verrez et entendrez défiler un bon millier de camions chaque jour, décibels et oxyde de carbone garantis, disparition des ours assurée. On me dit que vous étiez majoritairement favorables à ce projet. Je n’en crois rien, mais peu importe. L’avenir, je pense, donnera raison à ceux qui, aujourd’hui, s’opposent à ce massacre écologique et culturel, à cette aberration économique qui prétend faire revivre une région en la saignant d’une voie rapide en son milieu. Une voie rapide ! Au cœur d’un des plus beaux paysages du monde, où toute vitesse supérieure à la marche devrait être interdite ! J’aimerais que l’un d’entre vous m’explique ce que cette saignée de bitume destinée à accélérer les échanges routiers entre la France et l’Espagne apportera à la vallée et à ses habitants. Des emplois ? Où ça ? A la pompe à essence ou au restoroute ? Du tourisme ? Il y en a déjà, des pas chiants, pas bruyants, pas exigeants, des amoureux de la montagne et de la nature sauvegardées. Ceux-là s’en iront, et les autres ne viendront pas. Même si les paysages de part et d’autre en valaient la peine, aurait-on envie de s’arrêter sur l’autoroute avant le tunnel de Fourvières ?

Vous avez, paraît-il , des droits sur cette vallée, puisque vous l’habitez. Vous appartient-elle pour autant ? N’est-elle pas une partie d’un patrimoine commun qui m’appartient tout autant qu’à vous, qui appartient à tous les Français, et puis aux Européens, et puis aux Mongols, et puis, surtout, aux génération futures ? Ce n’est qu’à ce titre, répondant ainsi à ceux d’entre vous qui s’indignent que des « estrangers »  viennent se mêler de l’avenir de « votre » vallée, que je me permets ces quelques réflexions.

Je suis atterré. Et totalement désabusé. Depuis plus de quatre ans, chaque fois que les médias m’en ont donné l’occasion, je me suis efforcé de protester contre ce projet de tunnel du Somport. Une pareille constance dans l’indignation n’est même pas motivée par une quelconque conscience écologique, la vallée d’Aspe est REELLEMENT un des plus grandioses paysages, un des plus bouleversants qu’il m’ait été donné de voir. Y toucher, vouloir la rendre « plus accessible », la livrer au béton et aux camions, c’est un crime contre la beauté. C’est comme un lifting au vitriol sur le noble visage d’une vieille dame.

Je suis colère mais je vais essayer de pas m’énerver. Après tout, cette vallée a peut-être été épargnée trop longtemps. Peut-être l’heure est-elle venue pour elle de se transformer, comme tout le reste un peu partout. Comme les vieilles pierres des murets sont devenues des murs de béton, les eaux claires des rivières des cloaques, les sentiers des forêts des itinéraires pour « mountainback », les vieilles fermes des résidences secondaires, les épiceries de campagne des supermarchés, les p’tits restos des McDo, et les ronces des taillis des parkings.

Après tout, vous étiez peut-être un peu des privilégiés. Puisque nous n’auront jamais la chance de vivre tous dans un Eden comme la vallée d’Aspe, alors j’admire votre sens profond de l’égalité qui vous fait exiger le même béton pour tous !

Comme pour les pierres tombales.

RENAUD

P ;-S. Vous pouvez remplacer « mountainback » par V.T.T., si c’est plus clair.

Il y a quinze jours j’avais écrit « B.-H.L. et Arlette » (car c’est son vrai prénom !). Qui a corrigé, et écrit « Arielle » ?

Il y a une semaine, j’avais écrit « il s’est fait mal à le genou ». Qui a cru à une coquille et écrit « au genou » ?

Faisez gaffe…

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